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Jean-Pierre Bouchez - localisation spatiale, le désir de centralité plus fort que la tentation de dispersion territoriale

Deux tendances qui peuvent se combiner se déploient dans cette période contemporaine au regard de la localisation spatiale des organisations et des acteurs. La première se caractérise par le maintien et la poursuite de la concentration au sein des grandes agglomérations (centralisation), alors que la seconde est marquée par une délocalisation territoriale (dispersion). Le tout dans le cadre d’une amplification associée à la pandémie et qui concerne plusieurs types de population.

De manière à en saisir les enjeux, nous introduirons dans un premier temps la notion d’externalités, dans ses versants positif et négatif. Puis nous exposerons ces deux tendances, celle de la poursuite ou du maintien de la concentration au sein des grandes agglomérations attractives, puis celle orientée vers une dispersion territoriale pouvant contribuer à un remodelage des territoires.

Le dilemme des externalités

Il paraît approprié de mobiliser la notion d’externalités pour rendre compte de ces tendances. Dans leurs dimensions favorables et donc positives, les externalités se caractérisent comme étant des informations et des connaissances (externalités du savoir) à caractère technologique ou non, qui, une fois produites par des personnes ou des organisations (universités, entreprises, etc.), bénéficient à d’autres personnes ou à d’autres organisations, sans que le producteur de ces externalités soit rémunéré par ces personnes ou ces organisations. Ainsi, dans cette logique « hors marché », ces externalités le plus souvent attachées à des savoirs à caractère tacite mais aussi explicite s’échangent, s’évaporent, se captent, « fuitent », volontairement ou non au sein de ces agglomérations, compte tenu de la proximité spatiale de ces différents acteurs. Pour autant, dans la période contemporaine, les externalités dites négatives, liées notamment à l’accroissement de certains coûts (immobiliers et coût de la vie, en général), de la pollution atmosphérique, de la surcharge des réseaux de transports, des embouteillages, des nuisances sonores, et autres problèmes sociaux engendrés par une trop forte concentration de la population, etc., viennent contrecarrer de plus en plus les externalités positives. Aux États-Unis, elles ont notamment conduit certaines firmes, investisseurs et même employés de la tech localisés dans la référente Silicon Valley à migrer vers d’autres secteurs géographiques. C’est notamment le cas de la firme Hewlett Packard, qui a inauguré son siège en 2022 au Texas à Austin, singulièrement pour des raisons fiscales et en raison du coût de la vie. Rappelons que cette firme référente de la Valley a été créée en 1939 à Palo Alto…

L’attractivité agglomerative centrale

Elle tend à perdurer dans cette période contemporaine. Comme nous l’avions écrit et analysé dans un ouvrage antérieur (Bouchez, 2020), le nouveau contexte d’économie fondée sur le savoir, son accumulation, sa diffusion, son usage de plus en plus intensif, contribue à générer des économies d’agglomération et la concentration géographique d’acteurs (professionnels du savoir et organisations du savoir). Ce qui a notamment pour effet de favoriser les interactions de toutes sortes (informelles ou non), favorables. Le temps des flexibilités multiples et généralisées à l’innovation (coopérations économiques, échanges de biens, de services, d’information, construction de liens sociaux, etc.). Nous soulignerons dans la suite de cette présentation deux aspects saillants associés à cette attraction: l’« atmosphère » propice et la proximité avec les lieux de pouvoir et des firmes importantes.

Une « atmosphère » urbaine intellectuelle, technologique et financière.

Cette économie agglomérative du savoir attire et concentre, tel un aimant, le plus souvent au sein de ces métropoles réputées, des professionnels et des organisations du savoir qui mobilisent des processus cognitifs complexes et créatifs. Elles leur permettent de bénéficier des retombées d’un environnement favorable et propice aux échanges professionnels relationnels formels ou informels. En retour, et de manière combinée et interactive, ces derniers alimentent et irriguent ces agglomérations de leurs ressources cognitives et créatives. Une nouvelle forme « d’atmosphère » urbaine, intellectuelle, technologique et financière y règne et s’y diffuse en contribuant fortement à alimenter les innovations de toute nature. Ainsi, comme le souligne Thisse (2021), parmi les dix régions de l’Union européenne ayant le PIB par tête le plus élevé, on retrouve les ville-capitales de huit pays. De même, aux États-Unis, les vingt plus grandes métropoles produisent approximativement 50 % du PIB américain.

La proximité des lieux de pouvoir.

En dépit des externalités négatives, certains acteurs (entreprises et travailleurs du savoir qualifiés) privilégieront la localisation domiciliaire au « centre » ou en toute proximité, dans la mesure où elle demeure associée à la symbolique du pouvoir et concentre les principaux décideurs (institutions et organisations), à l’image hexagonale de Paris et son QCA, ou quartier central prestigieux des affaires , et plus largement de l’Île-de-France. C’est en effet dans ces espaces que se situent les sièges de nombre de grands groupes, générant une proximité spatiale réticulaire. En outre, la présence de transports rapides (régionaux et internationaux) constitue une ressource indispensable. Toutefois, à partir des années 2010, de grands groupes ont installé leurs sièges sociaux vers des périphéries en proximité du centre (financièrement plus abordables), comme : SNCF (93, Saint-Denis), Carrefour France (91, Massy, département de l’Essonne), Stellantis France (78, Poissy), Orange (92, Issy-les-Moulineaux), Danone (92, Rueil-Malmaison). 7 Composé du 8ème arrondissement et d’une partie des 1er, 2e , 9e , 16e et 17ème arrondissements. Un espace en voie d’hybridation durable. Il semble toutefois, depuis la crise sanitaire, que le désir de « centralité » et d’accessibilité des entreprises refaçonne le marché de l’immobilier de bureaux. Elles seraient de retour notamment depuis le début de l’année 2022 (qu’il s’agisse des grands groupes mais aussi des TPE et PME), dans la mesure où la pratique du télétravail et les aménagements en flexoffice ont libéré de l’espace. À cela s’ajoute le fait que les principes de centralité et d’accessibilité restent attractifs dans un contexte de guerre des talents (Dekonink, 2022). C’est déjà d’ailleurs ce qu’annonçait Nicolas Cochard (2021), considérant ainsi qu’une localisation dans une position centrale donne du sens au parcours du salarié. Les données chiffrées confirment cette attraction. Ainsi, selon une étude de l’institut Paris Région (Roger et al., 2021), sur les six millions d’emplois que compte l’Île-de-France, près de sept emplois sur dix se concentrent sur 6 % du territoire. Cette polarisation géographique de l’emploi s’accélère, un million d’emplois y ayant été créés depuis vingt ans. Le travail étant en effet devenu de plus en plus multilocalisé et hybride, plus la fréquentation du lieu de travail de l’entreprise devient aléatoire, et plus le besoin de centralité, à l’image de Paris et son QCA, s’accroît. Ce qui implique d’analyser les localisations domiciliaires des salariés pour optimiser les déplacements. Ainsi, certaines firmes, comme la Société Générale et d’autres, créent des points de travail délocalisés sous la forme d’antennes d’espaces ouverts en proximité des lieux de résidence pour réduire les temps de transports. Cette tendance apparaît prometteuse, sous réserve qu’elle ne contribue pas à altérer les liens sociaux. S’agissant d’ailleurs de la localisation des espaces de travail, certains auteurs (Bouchet et al., 2018) considèrent à juste titre que les offres de coworking et de bureaux partagés, qui privilégient souvent les centres-villes et les quartiers d’affaires actuels, zone traditionnelle de bureaux, n’apportent pas des réponses à ces contraintes de déplacements pendulaires. Il faut par ailleurs souligner que cette concentration de travailleurs est également source de nombreux emplois en quelque sorte « indirects » dans des lieux de socialisation, tels les restaurants et les bars (Moretti, 2012).

Vers une délocalisation et un remodelage territorial ?

Cette seconde tendance est associée à une forme d’« exode urbain», liée notamment à la montée des externalités négatives, ainsi qu’aux opportunités potentielles liées aux pratiques du télétravail qui s’est, on le sait, fortement accru pendant la pandémie. Dans ce cadre, deux variantes doivent être singulièrement distinguées. D’une part, celle de dirigeants et professionnels du savoir et d’autre part, celle d’usagers de « lieux d’entrepreneuriat et de salariat » territorialisés. Le temps des flexibilités multiples et généralisées

Le cas des dirigeants, cadres supérieurs et professionnels du savoir autonomes.

La première variante tendancielle s’inscrit dans le cadre de pratiques observées à partir des échanges que nous avons eus avec des chercheurs et des usagers de ces démarches. Les acteurs privilégiant cette perspective, singulièrement des cadres supérieurs et des professionnels numériques du savoir, recherchent, dans une démarche souvent de type post-pandémique, une nouvelle forme de confort et de bien-être environnemental pour déployer durablement à temps partiel variable leurs activités professionnelles. En pratique, cette forme de choix résidentiel plus excentré repose sur la recherche d’une zone d’un climat ensoleillé, d’une ville moyenne (ou d’un village agréable en voisinage d’une ville moyenne), elle-même pas trop éloignée d’une agglomération… Ou correspond tout simplement à une délocalisation de dirigeants dans leur résidence secondaire. Si cette perspective était amenée à se développer durablement, on peut penser qu’elle contribuerait à une amorce de remodelage territorial, qui ne serait pas sans créer des inégalités territoriales. Avec d’un côté cette population mobile, flexible et privilégiée et d’un autre côté des travailleurs issus de zones périphériques et rurales. S’agissant notamment des villes moyennes, une attraction est observée pour une délocalisation auprès de celles se situant dans un rayon inférieur à 150km de la capitale (comme les villes-cathédrales, Amiens, Chartes, Orléans ou Reims, bénéficiant d’une liaison avec une gare parisienne). Ces dirigeants et cadres supérieurs s’installent dans ce que l’on nomme désormais une résidence « semi-principale ». Enfin, un autre courant observé dans cette perspective est lié à des choix de délocalisation professionnelle en termes d’emplois salariés dans des territoires dynamiques.

La dispersion spatiale territoriale des tiers-lieux et des espaces de coworking.

Pour aborder cette seconde variante, il faut rappeler que l’un des effets de la crise sanitaire a été d’inciter le gouvernement, durant l’été 2020, à orienter son plan de relance en faveur des territoires en encourageant la fabrication et le développement de «manufactures de proximité » avec une généralisation du dispositif, soit environ 300 manufactures en 2022 (Kemdji, 2021). Il n’empêche que pour cet auteur, le contexte de la pandémie a contraint les tiers-lieux à se définir ou se redéfinir sur la base de nouvelles initiatives conduisant notamment à favoriser la pratique du télétravail. Pascal Glémain (2021) considère dans cette seconde variante que la pandémie a contribué à faire de ces espaces de proximité tant géographiques que sociaux une possibilité accrue de « travail à distance », tant pour les activités entrepreneuriales et salariales localisées dans des zones périurbaines. Un espace en voie d’hybridation durable 227 ou rurales. Dans sa recherche, l’auteur constate que ces espaces, qu’il qualifie plus globalement d’« autres lieux d’entrepreneuriat et de salariat (ALES) sur lesquels nos économies vont devoir compter », produisent toutefois pour près de 59 % autre chose que du (strict) télétravail, soit une domiciliation ou le bénéfice d’un espace de coworking. Ils sont également fréquentés par des petites et très petites entreprises. On peut en effet considérer que leur modèle contribuera au rééquilibrage territorial hexagonal en représentant une forme possible de désengorgement des agglomérations et des grandes métropoles. Mais cela concerne aussi plus largement les espaces tiers, auxquels il faut intégrer les espaces de coworking, dont nous avons souligné certaines proximités, quand il ne s’agit pas de confusions (à la différence que les espaces de coworking sont plutôt identifiés à une localisation urbaine). Aussi, de manière à assurer leur pérennité « post-pandémique », il importerait de renforcer durablement les partenariats, aussi bien avec l’État qu’avec les collectivités territoriales et les entreprises. Dans cette perspective, le sociologue Jean Viard (2021), évoquant ces « arrivants de la pandémie » et «migrants de l’intérieur », considère qu’ils peuvent créer dans ces territoires de nouvelles dynamiques contribuant à leur revitalisation, à condition qu’ils soient perçus localement comme une opportunité et comme une ressource (mais aussi que leur activité puisse s’exercer dans un tel cadre spatial). Mais cela nécessiterait, selon Viard, de créer 10 000 espaces de coworking, alors qu’il en existe moins de 700 hors métropole (Kemdji, 2021). Reste à savoir si cette forme de « renaissance rurale » sur fond d’externalité positive saura s’inscrire dans la durée. Cette question de l’attractivité des agglomérations n’est pas à ce stade tranchée, comme le souligne le géographe de référence Michel Lussault (2021) dans un entretien accordé au mensuel Liaisons sociales. Il relève qu’il y a en réalité sans arrêt des va-et-vient entre villes et périphéries et qu’il est trop tôt pour savoir si ceux qui sont partis depuis quelques mois ou qui en ont le projet ne reviendront pas après quelques années…

 

Notes

Bouchet, P., Mansoux, F. et Pinot, G. (2018), De l’immeuble de bureau aux lieux de travail. 40 ans de transformation, Éditions Le Moniteur, Antony

Bouchez, J.-P. (2020), Innovation collaborative. La dynamique d’un écosystème prometteur, De Boeck supérieur, Louvain-la-Neuve, Belgique

Cochard, N. (2021) (Dir.), Guide de la flexibilité, de l’organisation et de l’environnement de travail. Théorie et pratique, Groupe Moniteur, Antony

Dekonink, B. (2022), « Immobilier : la guerre des talents ramène les entreprises dans le Paris intra-muros », Les Échos, 7 juillet

Glémain, P. (2021), « Les tiers-lieux, de nouveaux espaces de travail collaboratif d’avenir après la crise de la covid 19 ? », (in Dir. Kalika M. et Beaulieu P.), Les impacts durables de la crise sur le management, EMS, Management & Société, coll. Business Science Institut.

Kemdji, M. (2021), « Le coworking et les tiers lieux », in (dir. Minchella D.), Espaces de travail. Nouveaux enjeux, nouveaux usages, Dunod, Paris.

Kemdji, M. (2021), « Le coworking et les tiers lieux », in (dir. Minchella D.), Espaces de travail. Nouveaux enjeux, nouveaux usages, Dunod, Paris.

Lussault, M. (2021), « Le développement du télétravail ne signe pas la fin de l’urbanisation», Liaisons sociales magazine, mars, no 220

Moretti, E. (2012), The New Geography of Jobs, Houghton Mifflin Harcourt, Boston Roger, R., Bertrand, J., Tournassoud, F., Bernard, C. (2021), « Le mass transit au cœur des dynamiques d’emploi »», 20 janvier, Institut Paris-régions, no 880

Thisse, J.-F. (2021), «Le télétravail: solution d’avenir ou mode passagère?» in Regards économiques, no 164, juin, pp. 4-12

Viard, J. (2021), La révolution que l’on attendait est arrivée, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues