Warning: Undefined array key "HTTP_ACCEPT_LANGUAGE" in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4

Warning: Undefined array key "HTTP_ACCEPT_LANGUAGE" in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4

Deprecated: explode(): Passing null to parameter #2 ($string) of type string is deprecated in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4
Jean-Pierre Bouchez - A propos de la critique libérale des services professionnels intellectuels

On peut rendre compte de cette critique classique, d’essence libérale à travers un double questionnement complémentaire, concernant d’une part « l’illégitimité » supposée des professions et, d’autre part, de manière plus illustrative et contemporaine, de l’avenir du partnership au sein des services professionnels intellectuels.

Les professions serait-elles illégitimes ?

La suppression de la forme corporative constitue un marqueur symbolique de son « illégitimité » au regard du modèle idéologique néolibéral. Plus largement, depuis l’époque des corporations, les économistes comme Turgot, Necker puis, beaucoup plus récemment, tout un courant néolibéral à l’image notamment de Milton Friedman a régulièrement dénoncé la captation d’une rente économique par les professions qui génèrent ainsi des entraves à la libre concurrence, pour exploiter leur client. Friedman, considéré comme le chef de file des économistes libéraux en raison d'une contribution publiée en 1945 avec son collègue Kuznets (*)(ces deux économistes furent lauréats du prix Nobel d’économie, respectivement en 1976 et 1971), traite les professions réglementées comme de puissants mécanismes de restriction de la concurrence. Un peu plus tard, Friedman (**) poursuit sa dénonciation de la captation d’une rente économique par les professions. Pour les représentants de ce courant de facture néolibérale, les réglementations avantageuses attachées aux professions (en particulier le monopole d’exercice) perturbent le libre fonctionnement des marchés et de la concurrence. Elles permettent aux services professionnels d’accroître leurs revenus bien au-delà du niveau auquel ils auraient pu prétendre dans le cadre d’une économie ouverte. Dans cette logique, d’autres critiques récurrentes portent sur la faiblesse de l’innovation et du progrès technique, dans la mesure où l’offre de service est davantage orientée et ajustée aux intérêts des producteurs qu’à ceux des clients. Les représentants de ce courant proposent de faire tomber les monopoles d’exercice et de soumettre les services professionnels « protégés » aux règles de marché au nom de la défense des intérêts des clients, qui trouveront dans ce nouveau cadre libéral, les prestations effectuées selon le meilleur rapport qualité/prix.
Cette politique de dérégulation des professions est soutenue par la Commission européenne, qui l’avait justifiée en s’appuyant sur une importante enquête économique réalisée en 2000 auprès de six professions (avocats, comptables, notaires, architectes, pharmaciens et ingénieurs) concluant que plus la régulation de ces professions est forte, plus le bien-être du consommateur/client est faible (***). Cette interprétation a été cependant clairement invalidée par Karpik (****) qui souligne notamment l’acceptation du présupposé d’une même qualité moyenne des services professionnels dans les pays européens, rendant par là même les résultats de l’enquête problématiques.

Le contexte général récent de ladérégulation et l’avenir du partnersip

De manière plus générale, et au-delà de la problématiquede la déréglementation des services professionnels, des auteurs comme Kevin T.Leicht et Elizabeth C. W. Lyman (*****) soulignent que la montée de l’idéologielibérale a contribué à « désencastrer » et à« désingulariser » les prestations délivrées par les firmes deconseil. Cette tendance correspond au développement de l’archétype ou modèle dumanagerial professionnel business(MPB). Les enjeux de ce débat renvoient à la question de ladéprofessionnalisation (notamment l’absence de contrôle par les pairs)potentielle et à la tentation de la standardisation concurrentielle, pour fairebaisser les coûts, au risque de réduire la qualité. Ces auteurs se réfèrentplus globalement à la nature des prestations de services intellectuelles, endifférenciant les services professionnels qui reposent sur l’« économie dela réutilisation », dans le cadre du business model de type industrielfondé sur le volume, de ceux qui se positionnent dans l'« économie de lasingularité » et de la personnalisation. Ces derniers étant représentatifsdes services professionnels intellectuels plus identitaires, avec un mode degouvernance qui repose souvent sur le partnership(parfois qualifié comme p² pour ProfessionnelPartnership). Rappelons que ce modèlemanagérial se réfère à une forme de contrôle managérial par les associésprofessionnels correspondant à une détention exclusive (sans actionnairesextérieurs) de la firme par ceux qui sont également les quasi-détenteurs de soncapital intellectuel. Il repose sur un consensus collectif fort dans les prisesde décision entre les partenaires associés. Il est, nous l’avons évoqué,notamment pratiqué par des firmes du conseil en stratégie haut de gamme ou parde grands cabinets d’audit, mais aussi dans certains cabinets d’avocats où deconseil en management, le plus souvent de taille modeste.

La prédominance du capitalisme financier et lesimpératifs de rentabilité ont incité certaines firmes à abandonner la forme du partnership (à l’exemple significatifd’Accenture ou de Lazard), à opter pour l’entrée en bourse et à faire évoluerleur mode de gouvernance en conséquence. Ce basculement leur permet enparticulier de financer plus aisément leur développement et de distribuer desactions à certains salariés stratégiques, pour éviter qu’ils partent à laconcurrence. Mais aussi de s’extraire du fonctionnement par consensus, propreau partnership, souvent considéré comme plus contraignant et moins réactif.Cependant, des observateurs et des chercheurs craignent que cette tendance aitun effet nuisible sur le professionnalisme et sur l’éthique des expertscomptables (******) ainsi que dans les banques d’investissement, les agences depublicité et le secteur du conseil, même si l’on doit souligner que lescontraintes légales et éthiques ne sont pas comparables. Le sociologue LucienKarpik considère pour sa part que la « désingularisation » représenteune menace et une réalité centrales qui pèsent sur les marchés des singularitéspour les services professionnels personnalisés, s’ils venaient à perdre leurs« capacités d’auto-organisation aunom de l’instauration, par les autorités publiques, de la libre concurrence ». Le débat est lancé…..

Notes

(*) Friedmann M. et Kuznets S., Income from Independant ProfessionnalPractice, N.Y., Bureau of Economic Research, 1945.

(**) Friedman M., Capitalism and freedom, University ofChicago Press, 1962. Chicago.

(***) Monti M., « Competition in ProfessionalServices: new Lights and new Challenges », for Bundesanwaltskammer, 21mars, Berlin. 2003. Kroes N., « Commissioner’s OpeningSpeech to EPI Juri Committee on 29 November 2005 », Internet.

(****) Karpik L., L’économie dessingularités, Gallimard, 2007.

(*****) Leicht T. et Lyman E., in(dir.) GreenwoodR. et Suddaby R., Professional ServiceFirms (Research in the sociology organizations, Vol. 24).

(******) Shafer W., Lowe D. etFogarty T, « The effect of corporate ownership on public accountants’professionalism and ethics », AccountingHorizons, 16, 2002.

(*******)Augur P., TheDeath of Gentelmanly Capitalism, Penguin, London, 2000.