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Jean-Pierre Bouchez - La généralisation de l’entreprise hybride, ou janus et ses deux faces : une face rose, une face plus grise

La métamorphose de l’entreprise est, on le sait, une réalité durablement observée depuis au moins une vingtaine d’années, sur fond d’une concurrence mondialisée, marquée notamment par un raccourcissement sans précédent des cycles de production et de vie des produits, et où l’innovation tient désormais lieu d’impératif catégorique.

Nous nous focaliserons ici, à titre illustratif, sur deux de ses aspects saillants assez proches, de l’entreprise dite hybride : la perméabilité entre les firmes et le marché d’une part, et la pénétration du travail intellectuel dans la firme, dans ses phases amont et aval, d’autre part.

La perméabilité entre firmes et marché, à travers de nouvelles configurations organisationnelles.

Cette perméabilité est marquée par un double mouvement qui peut être décrit, en reprenant le vocabulaire des théoriciens de l’économie des coûts de transaction : le « marché » entre dans « l’organisation », mais de manière complémentaire et concomitante, « l’organisation » pénètre organisationnellement également dans le « marché », de sorte que l’opposition entre ces deux formes d’organisations tendent à se réduire. L’entreprise (« l’organisation »), est simultanément étendue vers le marché, et ramassée vers son cœur.

L’entrée de la sphère marchande dans la firme.

Elle se caractérise dans les organisations privées, mais aussi publiques, par le développement de relations de type clients-fournisseurs, et plus généralement par une pratique de contractualisation des prestations internes, formalisée notamment par des contrats d’objectifs et de service. Dans la période la plus récente, où la concurrence devient plus intensive, elle semble marquée, du moins lorsqu’elle est poussée à l’extrême, par un accroissement de la compétition entre certains de ses acteurs, ainsi qu’une montée de l’opportunisme et du « chacun pour soi ». Cette tendance lourde, qui correspond à une forme d’internalisation des rapports marchands entre acteurs et groupes d’acteurs (services, unités, équipes projet,…) au sein de l’organisation, surajoute ainsi une dimension quasi-marchande nouvelle, au rapport salarial traditionnel. Il y a donc cohabitation et hybridation entre la logique hiérarchique verticale qui subsiste (dont l’expression la plus visible aujourd’hui en est le contrôle) et la logique marchande, plutôt horizontale à travers la relation entre le demandeur ou le fournisseur latéral (qui peuvent être des clients internes ou externes). L’illustration la plus visible étant constituée par les projets transversaux orientés client, dominés notamment par les pratiques de juste à temps et d’ingénierie simultanée.

L’extension organisationnelle de la firme dans le marché.

De manière complémentaire et concomitante, la firme pénètre de plus en plus dans marché. Elle le fait à travers son remodelage et son éclatement progressif en une organisation de forme réticulaire, reposant sur un noyau central restreint (cœur du métier et décisions stratégiques) en externalisant ou en sous-traitant certaines fonctions ou activités. Ces pratiques originellement centrées sur des fonctions périphériques (nettoyage, restauration, etc.), se sont progressivement déplacée vers le centre, en s’étendant progressivement à des fonctions plus stratégiques, comme les technologies de l’information, la logistique ou les achats. En matière de R&D, on observe également, dans le cadre du courant de « l’innovation ouverte », une externalisation à travers l’apparition d’un nouveau type d’entreprises spécialisé dans la mise en relation avec des chercheurs indépendants susceptibles de les aider à résoudre des problèmes et contribuer à faire émerger des idées innovantes, a vu le jour sur internet, tels les américains InnoCentive, NineSigma, et Yet2.com, le canadien Idea-Connection et le suisse Atizo.

Mais cette coopération intellectuelle « haut de gamme », n’a pas pour autant fait disparaître la sous traitance « bas de gamme », y compris parmi les « entreprise phare » du secteur technologique comme Amazon et Apple. Tel Janus, à deux faces, on trouve une hybridation particulièrement marquée. D’un coté, la face émergée et visible, derrière l’écran, dont l’innovation en termes de produits et services (singulièrement s’agissant d’Apple), fait incontestablement rêver. De l’autre coté, la face plus sombre et invisible, lié notamment à la production au juste à temps. Apple pour sa part, prototype de la marque mondiale innovante, qui fut au passage, la plus grande capitalisation boursière du monde, pendant une partie du mois d’aout 2011, sous-traite la fabrication de ces objets cultes (production et logistique) en Chine auprès de la société Foxcon Technologie Group dirigés par le tycoon Terry Gou. Cette firme qui emploie 920 000 salariés, répartis dans plus de 20 usines, (soit l’une des entreprises les plus importantes du monde, en termes d’effectifs, mais aussi le premier exportateur chinois), travaille également aussi pour Sony, Nokia et Microsoft.

Elle est en fait le plus important fabriquant mondial de matériel informatique. La firme est notoirement connue et dénoncée par de nombreux organismes et journalistes (**), pour ses conditions de travail particulièrement inhumaines. A tel point qu’elle n’a pu échapper au recrutement de nombreux psychologues (compte tenu de la vague importante de suicides) et à des augmentations de salaires très conséquentes. La firme Apple, est elle-même directement intervenue en juin 2006, à la suite d’un article publié par deux journalistes de la China Business sur les conditions de travail difficiles des 300 000 ouvriers de l’usine iPod de Foxcon basée à Longhua. Mais cette société est devenue incontournable pour Apple, tout simplement parce qu’elle elle serait la seule à avoir la capacité, à travers ses différentes filiales, de fabriquer la grande majorité des composants nécessaires à Apple (comme du reste ceux de Nokia et de ses autres donneurs d’ordre).

Quelques mots sur la firme Amazon, l’organisation est différente, même si l’économie du système reste très proche. L’entreprise est en effet intégrée, mais dispose, d’immenses entrepôts, toujours situés à l’écart des grands centres urbains, où les conditions de travail des manutentionnaires, décrites par la journaliste Claire Newell, qui s’est faite recruter comme intérimaire dans l’entrepôt de Bedfordshire en Angleterre (*), apparaissent comme particulièrement hard (horaires, cadences, salaires minimum, vidéosurveillance, anti syndicalisme…).

En somme, Janus nous apparaît symboliquement avec ses deux faces bien contrastées. D’un coté, une face rose et visible, dont les figures représentatives sont les professionnels du savoir et de l’immatériel « haut de gamme » : les créatifs, les designers, les marketeurs, les développeurs informatiques. De l’autre coté, une face plus sombre et grise, composées de nombreux travailleurs invisibles, moins qualifiés, non reconnus, travaillant dans l’univers matériel… de l’internet. Tentons de prolonger, voir de théoriser prudemment ces contrastes.

La pénétration du travail intellectuel dans les organisations et sa localisation dans les phases amont et aval du process de production.

La plupart des auteurs et des observateurs attentifs soulignent, surtout depuis une vingtaine d’années, l’importance croissante du savoir dans les activités professionnelles. Ce constat traduit la réalité de la pénétration grandissante du travail intellectuel dans les firmes et son incorporation dans les produits et services, qu’ils soient d’ailleurs ordinaires ou sophistiqués. Cette pénétration est singulièrement localisée dans la phase amont (Recherche & Développement, innovation, design marketing, etc.), et dans le déploiement de la phase aval de la production (commercialisation, et publicité, etc.), avec tous les risques qui lui sont associés (notamment en termes d’investissements). L’échec partiel des véhicules haut de gamme français, par exemple, en constitue une illustration, en dépit de la mobilisation des équipes. Ces phases sont en effet potentiellement à l’origine de la création de valeur conséquentes, et partant, de la croissance des firmes, y compris les firmes industrielles.

C’est en effet au cœur de ces deux phases largement immatérielles, que se localise et se mobilise le capital cognitif des professionnel du savoir réflexifs, qui se sont pour partie substitués à la figure de l’ingénieur de fabrication et du chef d’atelier, tant représentative de la symbolique l’Usine, il n’y a pas encore pas si longtemps… Cette phase intermédiaire de production, a été, on le sait, délocalisée dans des pays à faible couts salariaux, et tendra probablement à s’automatiser de plus en plus, du moins dans certains secteurs. Cela rejoint au passage, le fameux débat autour des fabless (entreprises sans usines).

Soulignons toutefois pour être précis, que cette polarisation amont-aval, comporte des exceptions. Une seule illustration pour s’en convaincre : le chirurgien effectue une activité particulièrement complexe et partiellement risquée, lors d’une intervention sur un patient, assimilable (avec tout ce qu’il y a naturellement de relatif et d’artificiel, car il s’agit de la santé d’un patient), à la phase intermédiaire de production.
Il n’empêche, cette distinction marquée entre les phases polaire des process (amont et aval) et la phase intermédiaire (production, montage, etc), reste dans l’ensemble généralisable, et illustre et conforte cette hybridation marquée des entreprises.

On peut même raisonnablement se demander, en poussant le raisonnement à son terme, si nos fleurons industriels de l’automobiles, par exemple, ou d’autres, ne sont pas en train de se métamorphoser progressivement en véritables organisation du savoir, intensives en connaissances (notamment en matière de R&D et de design), où le capital cognitif et immatériel constitue quasiment la seule source de création de valeur et de croissance. Comme si, d’une certaine manière la distinction entre services (à caractère réflexifs) et industrie était déjà d’une certaine manière bien dépassée…


Notes

(*) Sunday Time,
http://business.timeonline.co.uk/tol/business/industry_sectors/retailing/article5337770.ece.
(**) http://lci.tf1/high-tech/2006-06/ipod-city-embarras-apple-4890851.html ;
http://www.mac4ever.com/news/57991/condition_de_travail_ledossier_foxxonn_s_alourdit/;
http:/vimeo.com/ 22934476;
http://www.telegraph.co.uk/technology/apple/7330986/Apple-admits-using-child-labour.html ;
Le Point, 07/10/2010.