Depuis quelques dizaines d’années, les pratiques managériales ont toujours été friandes de modes. Le NWOW, acronyme du New Way (ou) World of Working, en constitue assurément l’une des illustrations récentes dans le mainstream ambiant. 

Cette expression se concrétise, comme nous avons pu l’observer – du moins pour les organisations les plus en pointe – par un nouvel environnement de travail fondé sur une dynamique triangulaire. Soit, un socle de base composé de deux éléments porteurs combinés : les innovations technologiques et leurs supports numériques associés (Bytes) et la refondation des espaces de travail fonctionnellement aménagés (Bricks). Ces deux éléments constituant des leviers propices à l’émergence attendue d’une nouvelle attitude comportementale des collaborateurs, symbolisée par le somment de cette triangulation (Behaviour).

Ce nouvel environnement qui conduit ainsi à remodeler profondément la grammaire des repré-sentations traditionnelles du travail en flexibilisant l’espace-temps classique et en prônant pour les collaborateurs de manière quasi injonctive, une idéologie intrapreneuriale fondée notam-ment sur l’autonomisation et la responsabilisation. Trois versions différenciées et contrastées sont présentée successivement, en partant de la plus sombre à la plus offensive. Elles peuvent partiellement cohabiter. 

UNE VERSION PLUTOT SOMBRE MARQUÉE PAR UN CONTRÔLE PROTÉIFORME.

Elle est fondée principalement sur la présence protéiforme du contrôle, qu’il soit managérial, technologique ou social. L’injonction constante à l’adoption de postures autonomes et respon-sabilisantes se heurte inévitablement au contrôle organisationnel et hiérarchique, peu propice à la prise de risque débridée et à l’innovation. Lors de la visite de ces lieux, (où les seniors se font d’ailleurs rares…), on ne manque pas, d’être frappé, par l’usage incessant de badges magné-tiques pour franchir les multiples espaces professionnels. Ce contrôle technologique post-disci-plinaire, omniprésent se retrouve dans le badge des salariés, autorisant une géolocalisation. Il permet notamment la visibilité généralisée et imposée des activités et plannings, via les calen-driers professionnels, affichés sur tous les écrans.

Aussi, la référence à quelques illustres penseurs contemporains, s’avère encore pertinente, pour éclairer cette forme de contrôle, quitte à en forcer quelque peu le trait. Ainsi Michel Foucault (Surveiller et punir, Gallimard, 1975) avait initialement décrit l’espace panoptique de l’encei-nte, permettant l’observation et la surveillance constante des prisonniers. Gilles Deleuze (Pourparlers, Minuit, 2003, regroupant certain de ses textes antérieurs), prolongeait ses propos en soulignant que « nous entrons dans des sociétés de ‘contrôle’ qui ne sont plus exactement disciplinaires (…) qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée », investissant selon ce texte, tous les domaines la vie humaine et notamment le travail. Leur efficacité, tenant selon le philosophe, à ce qu’ils se fondent dans le décor et qu’ils passent inaperçus… Des propos antérieurs à l’arrivée du numérique, toujours d’une redoutable actualité…

UNE VERSION PLUS ÉQUILIBRÉE.

Les termes de l’échange de cette version classique du NWOW apparaissent plus équilibrés que la précédente. Ils sont en réalité assez simples à formuler dans une version apparemment plus équilibré.

Si l’on se place du côté des employeurs, les bénéfices attendus concernent logiquement, selon des degrés variables (au regard de leur business model et de leur stratégie), trois préoccupations majeures. A savoir : une réduction des couts immobiliers (en diminuant l’espace dédié à chaque occupant), un accroissement de la productivité (par l’usage généralisé du numérique) et une incitation à l’innovation, si possible disruptive (en développant les pratiques collaboratives).

En contrepartie, du côté des collaborateurs, les promesses, singulièrement pour les millennials, (dont les caractéristiques demeurent une source d’étonnement pour les chercheurs), se concen-trent souvent sur la notion protéiforme de bien-être au travail. La présence de chef happiness au rôle souvent controversé, alimentant cette curieuse forme d’injonction au bonheur.

Cette version correspond assez largement à l’apparence observée et procure de réelles satisfac-tions, comme nous avons pu le constater in situ. Elle est d’ailleurs corroborée par la première étude robuste et exhaustive sur ce sujet, réalisée en 2016 par IPSOS pour Steelcase, qui souligne notamment que l’engagement des employés est corrélé à la satisfaction vis-à-vis de l’espace, et le degré de contrôle de leur environnement physique.

UNE VERSION PROMETTEUSE PLUS OFFENSIVE FONDÉE SUR L'INNOVATION COLLABORATIVE.

Pourtant, la version la plus prometteuse, que l’on peut rattacher au pratiques du New Way of Working, est à notre sens celle opérée progressivement, depuis une petite dizaine d’année, par de grand groupes français aux dirigeants éclairés. Ils amorcent ainsi une grande transformation en s’inspirant du modèle des start-up en déployant une culture entrepreneuriale. Ils ont ainsi développé en leur sein des espaces intégrés, inspirants et transformants contribuant à générer des innovations collaboratives, souvent disruptives. Cela concerne les espaces dit de corporate-coworking et surtout les laboratoires d’innovations ouverte (notamment les fablabs). Ces derniers se caractérisant par des open-space convivial disposant de ressources technologiques de prototypage rapide qui permettent l’adoption des pratiques développées par le monde des makers. Ces dirigeants avisés ont ainsi également mis en place en interne des plateformes d’innovations collaboratives et des incubateurs portés par leurs salariés avec des résultats prometteurs.

Il est encore prématuré de tirer à ce stade des bilans de ces démarches en termes d’efficacité, mais elles s’inscrivent impérativement dans le sens du devenir des grandes organisations. Avec toutefois deux limites à surmonter. La première est de ne pas céder risque de dérive de certaine grandes firmes, caractérisé par la volonté de déployer à tout prix le modèle start-up en leur sein convaincues que ces méthodes les rendront précisément aussi agiles que les jeunes pousses… La seconde est liée à la réalité d’une culture hexagonale, où la figure de l’« homo hierarchicus » reste encore très prégnante comme le soulignent les études référentes (Eurofound, 2015, enquête DARES 2015). Revisiter cette culture nécessite un nouveau référentiel managérial offensif, encourageant fortement la prise de risque, le lâcher prise, l’octroi d’une préemption de confiance et inciter les acteurs à faire preuve de courage en la matière.