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Jean-Pierre Bouchez - L'entreprise schizophrène, entre rationalisation et collaboration, voire libréation

Tel Janus et ses deux faces, et singulièrement depuis une quinzaine d’années, les grandes firmes française sont soumises à une tension paradoxale entre, d’une part le management de type collaboratif à travers le déploiement des réseaux sociaux et des communautés professionnelles, amplifié par le support et l’usage des technologies numériques de type 2.0, et d’autre part le management strictement gestionnaire poursuivant la rationalisation du travail notamment dans sa forme intellectuelle.

Depuis peu, le retour du courant de « l’entreprise libérée », illustrée par des auteurs devenus des guest stars à l’image d’Isaac Getz, auteur avec Brian Carney du best seller, Liberté & Cie (Fayard, 2012).

LE COURANT DE LA RATIONALISATION

Il s’est déployé progressivement, il y a déjà maintenant un siècle en France, sous l’influence de Frédéric Winslow Taylor et de son réseau composé de savants, comme Henry Le Chatelier, d’industriels tels Renault et Michelin, ainsi que de son disciple le très actif ingénieur conseil Bertrand Thomson.

Il s’est depuis profondément affiné et raffiné, notamment à travers l’usage des technologies de l’information et de la communication. Les fameux bureaux des méthodes notamment, sont toujours très largement présents, comme en témoigne par exemple l’enquête empirique et robuste menée ces dernières années par Marie-Anne Dujarier (Le management désincarné, La Découverte, 2015). La sociologue met en exergue, le rôle joué par ceux qu’elle nomme « les planneurs », ces nouveaux « ingénieurs des méthodes », qui regroupent nombre de fonctions support (finances, contrôle de gestion, ressources humaines, systèmes d’information, communication, etc.). Ces géomètres sont mandatés par les dirigeants de l’organisation pour prescrire, outiller, contrôler et donc rationaliser à distance et de manière souvent impersonnelle, les activités productives des salariés, au nom de la logique du "comment". Il apparaît clairement que ce courant, du moins dans sa forme la plus poussée, a atteint ses limites, voire sa contre productivité.  

LE COURANT COLLABORATIF

Il s’est développé et amplifié en parallèle ces dernières années, singulièrement à travers le déploiement des réseaux sociaux et des communautés professionnelles au sein des grandes organisations, associés aux effets amplificateurs des technologies numérique 2.0. Une forme de gouvernance hybride, atypique et subtile, apparaît ainsi à l’interface du formel et de l’informel, de la logique hiérarchique et la logique communautaire. Elle correspond précisément à un appel d’air qui s’inscrit dans un besoin renouvelé d’expression et de partage de savoirs, en marge des démarches prescriptives et rationalisatrices évoquées ci-dessus.

Les dirigeants éclairés des grandes organisations ont saisi les bénéfices associés à cette nouvelle "valeur collaborative" en hausse. Elle enrichit les liens sociaux, développe les échanges et la circulation de bonnes professionnelles et de « belles histoires », dont certaines sont de véritables pépites réutilisables, transposables et enrichissables dans d’autres contextes. Elle contribue également de plus en plus à l’innovation participative dans le cadre de plateformes dédiées, mobilisant l’intelligence de la foule des collaborateurs. Il va de soi que ces démarches collaboratives, qui conduisent à des résultats tangibles, ne peuvent pleinement se déployer que dans le cadre d’une culture où l’autonomie et l’initiative sont encouragées... Ce qui nous conduit à la rencontre du chemin de la "libération".

LIBERATION...

Ce mouvement qui s'est récemment invité dans le débat, a été notamment popularisée et médiatisé par l’ouvrage cité de Getz et Carney, Liberté & Cie. Dans la mouvance d’autres ouvrages récents, elle tend à recycler une idée, développée il y a près d'un siècle par des auteurs pionniers comme l'américaine Mary Parker Follett (1868-1933) et le syndicaliste français Hyacinthe Dubreuil (1883-1971). Dans leurs ouvrages respectifs, The new State (1918) et La République industrielle (1928), ils prônaient déjà et étayaient largement les principes d'autonomie au travail.

"L'entreprise libérée" repose sur quelques convictions fortes : adhérer à un projet commun, conduisant précisément à octroyer de l'autonomie et de la responsabilité aux salariés, rendant les injonctions et les contrôles alors superfétatoires, dans un environnement fondé sur la confiance. Leurs auteurs s'appuient, pour étayer leur propos, presque toujours sur les mêmes entreprises référentes (Gore, FAVI, SOL, Harley Davidson, Sun Hydraulics…), aux résultats économiques apparemment supérieurs celles de leurs concurrents.

On objectera sur le fond, que ces success stories reposent sur une armature conceptuelle aussi peu robuste que le fut l'un des plus grands best seller du XX° siècle, In search of Excellence, publié en 1982 de Peters et Waterman, (dont il faut rappeler que la majorité des 62 entreprises référentes rencontrèrent rapidement problèmes et difficultés....). Par ailleurs, du coté du terrain, des observateurs attentifs soulignent, que la présence de "leaders libérateurs", l'injonction  à "l'auto-motivation", génèrent des pressions sociales qui peuvent être déstabilisantes, voir oppressives pour les différents acteurs et parties prenantes.

Il n'empêche que ce courant en construction, dont la démarche collaborative semble singulièrement absente, ne peut laisser indifférents les praticiens éclairés du management en ce qu'il (re)pose de réelles questions en apportant des réponses à ce jour, insuffisamment étayées et argumentées, qu'il importe d'enrichir par des investigations robustes et des expérimentations probantes au delà des quelques entreprises régulièrement citées.

QUELQUES IDEES SIMPLES ET FORTES...

Aussi, pour le dire simplement, les grandes firmes sont traversées par deux lignes de force : rationalisation versus collaboration, voire libération, dont il faut s’efforcer de trouver un positionnement judicieux, courageux et offensif, au cas par cas, souvent fragile et précaire. Une chose au moins apparait clairement : la logique de la participation et de la compréhension fondée sur le "pourquoi" l'emporte clairement sur celle du seul "comment". La ligne de crête ensuite est assurément subtile à baliser, mais elle repose souvent sur des idées simples mais fortes que nous observons sur le terrain. Par exemple : pratiquer la présomption de confiance, favoriser et reconnaitre la "valeur collaborative" de l'échange et du partage, notamment sur la base de communautés professionnelles, déployer des contrôles raisonnables et tempérés, et... rester lucide face aux effets de mode et du buzz propagés par les gourous du management.