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Jean-Pierre Bouchez - Les dynamiques interactives fragiles et risquees de la « nouvelle économie du savoir ».

Encore une terminologie en voie de banalisation telle un concept valise, lesté d’approximations pour le moins hasardeuses….. Tentons d’y voir un peu clair. La « nouvelle économie du savoir », ou des « connaissances » ou « fondées sur le savoir » où encore sur les « connaissances », a fait l’objet de multiples discours et publications, tant académiques que professionnelles.

Toutes insistent naturellement sur l’importance du savoir comme moteur du nouveau régime de croissance dans notre économie marchande post-industrielle. Ils prolongent d’ailleurs les travaux de précurseurs, sociologues et économistes, comme Fred Machlup, Kenneth Arrow, Daniel Bell, ou Alvin Toffler. Mais, au-delà de la manipulation courante de ce concept « en vue », nous proposons dans le court texte qui suit de manière à mieux les saisir, en identifiant ses principaux éléments structurants ainsi que leurs liaisons interactives. Auparavant, nous rappellerons les deux principaux courants particulièrement distinctifs qui « portent » ce concept. Enfin, nous soulignerons de manière conclusive l’équilibre fragile et risqué « économie du savoir ».

Deux courants principaux.

Deux courants, d’inégale importance ont en effet émergé ces dernières années. Il y a d’une part le courant néo libéral de « l’économie de la connaissance » (EC) et de  « l’économie fondée sur la connaissance » (EFC), principalement représenté par l’économiste Français Dominique Foray et qui se situe dans la mouvance de l’OCDE, et de l’Union Européenne, d’une part. Il existe d’autre part, le courant qualifié de  « capitalisme cognitif » d’origine universitaire, relativement peu connu des économistes néo libéraux, et à notre sens sous-estimé, qui se situe dans la mouvance de l’école dit de la régulation.
De manière très raccourcie, on soulignera que le premier courant insiste particulièrement sur l’avènement des TIC et leur usage en termes d’explicitation des connaissances tacites attachées aux personnes. Ainsi en inscrivant des connaissances codifiées sur de nouveaux supports, on crée de nouvelles possibilités cognitives (réarrangement, combinaisons, etc.), qui étaient impensables lorsque la personne était littéralement « propriétaire » de ses connaissances.
Le second courant a émergé dès 2001, dans le cadre des travaux menés au sein de l’équipe ISYS du laboratoire Matisse de l’université de Paris I. Ses principaux représentants sont Christian Azaïs, Yann Moulier Boutang, Bernard Paultré, Carlo Vercellone et quelques autres. Leur posture est pour partie d’essence politique dans la mesure ou Azaïs souligne que le capitalisme cognitif correspond alors à une forme historique émergente de capitalisme, dans laquelle l’accumulation, c'est-à-dire la dynamique de la transformation économique et sociale de la société, est fondée sur une exploitation systématique de la connaissance et des informations nouvelles. La dimension financière de cette nouvelle forme de capitalisme est naturellement pointée fortement par ces auteurs.
On peut à la lumière de ces deux courants différenciés proposer une lecture distanciée, mais non moins critique, en s’appuyant d’une part sur les éléments constitutifs de cette économie du savoir et d’autre part sur leurs interactions.

Quatre pôles structurantes : Le savoir, les technologies numériques de l’intellect la finance et l’espace (les agglomérations intensives en connaissances).

Le pôle du savoir.
Par delà les coutants évoqués, l’importance capitale du savoir en son acceptation étendue et combinée (données, informations, connaissances, compétences et expertises), dans l’économie post-industrielle ne fait plus guerre de doute, comme en témoigne un certain nombre de données. Ainsi, sans citer les sources pour ne pas alourdir ce billet. On observe ainsi, au moins depuis une vingtaine d’années, une expansion continue des industries de l’information et de la connaissance et celles-ci franchissent la barre de 50% du P.N.B. dans l’ensemble des pays de l’OCDE aux alentours de 1985 (1). La progression des emplois hautement qualifiés est également soulignée par l’OCDE, dans son périmètre, en 1996. Le capital immatériel des entreprises devient logiquement conséquent. Ainsi, selon une étude du cabinet Ernst & Young réalisée en 2008, sur la base d’un échantillon de 101 entreprises européennes cotées de premier plan, la valeur cumulée du capital de ces entreprises représente environ 63 % de leur valeur totale. L’importance croissante du savoir dans les activités professionnelles est donc un fait avéré. Ce constat traduit la réalité de la pénétration grandissante du travail intellectuel dans les firmes et son incorporation conséquente dans les produits et services, qu’ils soient ordinaires ou sophistiqués, dans le cadre d’une concurrence mondialisée, marquée notamment par un raccourcissement sans précédent des cycles de production et de vie des produits, et où l’innovation tient désormais pris une place prépondérante.

Le pôle des « technologies numériques de l’intellect » (TNI).
L’usage de « technologies de l’intellect » pour reprendre la belle expression de l’anthropolo-gue Jack Goody mobilisée plus spécifiquement à travers l’apparition et l’usage de l’écriture, peut s’étendre à tous les outillages technologiques contribuant à amplifier fortement leurs capacités cognitives et réticulaires des travailleurs et des organisations dans le cadre de leurs activités professionnelles, notamment dans le cadre de la mobilisation des supports de type 2.0 Les usages sont en effet multiples, tant au niveau des réseaux sociaux personnels et professionnels (Facebook, Myspace, LinkedIn, etc.) que des plateformes collaboratives de création et de partage de connaissances pour ne prendre que deux formes typiques illustratives. En effet, depuis les années 2010, elles ont pénétré dans la plupart des entreprises du CAC 40 (mais également un certain nombre de PME) et généré de multiples communautés professionnelles actives (plus de 1000, par exemple, chez France Telecom-Orange). Il importe cependant que les entreprises mettent en œuvre une véritable stratégie numérique, mobilisant l’intelligence collective, de manière à ce que les acteurs s’en approprient. Naturellement, ces nouvelles pratiques conduisent à remettre singulièrement en cause les pratiques de management traditionnelles. Enfin, on rappellera que l’usage des TIC contribue à l’accroissement des performances des firmes, principalement à travers des gains de temps et de coûts, et la flexibilité qui découlent du temps de réaction des individus, mais la surcharge d’information et de reporting peut être de ce point de vue parfois contreproductive…

Le pôle des finances et les nouveaux propriétaires.
Cet aspect et son impact sur l’économie est suffisamment connu, pour que nous n’en consacrions pas de longs développements. Nous en rappellerons les aspects les plus saillants sans les développer. Il y eut d’abord e premier choc pétrolier, de 1973, marqueur symbolique de l’entrée dans un nouveau cycle plus incertain. De nouvelles bases doctrinales, et idéologiques se déploient dès la deuxième partie des années 1970, notamment à travers les travaux d’économistes comme Jensen et Meckling qui vont formuler la « théorie de l’agence », qui fera date et deviendront une des références de la fameuse « révolution conservatrice » anglo-saxonne qui se déploiera durant la décennie 1980. Ces courants et pratiques aboutissent à des perspectives analogues : la justification de la restauration de la figure de l’actionnaire aux dépens des dirigeants « visibles » dans un univers par ailleurs de plus en plus globalisé et interdépendant. Ces nouveaux propriétaires, orientés sur le principe de la « valeur pour l’actionnaire » dans une échelle de temps très courte, sont, en grande majorité, pour les firmes cotées, à présent pour l’essentiel des investisseurs institutionnels, qui ont vu leur pouvoir se renforcer à travers de nouvelles règles de gouvernance, conduisant à un contrôle potentiellement accru des dirigeants.
Enfin, de manière conséquente, l’organisation des firmes sera profondément remodelée dans plusieurs directions combinées en particulier le recentrage stratégique sur les « compétences-clés » et la polarisation amont/aval des activités de la firme, créatrice de valeur ajoutée (R&D, design, marketing, etc), dans le cadre d’une échelle de temps considérablement raccourcie (time to market),

Le pôle lié à l’espace et fondé sur les « économies d’agglomérations ».
Ce dernier pôle, constitutif de la dynamique de l’économie du savoir, se réfère au phénomène de regroupement et de concentration des activités intensives en connaissances et de matière grise, au sein d’un même espace géographique. Les économistes mobilisent le terme d'« économie d’agglomérations » pour le caractériser. Ce phénomène traduit l’attraction et la concentration tel un aimant, le plus souvent au sein de grandes métropoles déjà réputées, des professionnels et des organisations du savoir qui mobilisent des processus cognitifs complexes et/ou créatifs, leur permettant de bénéficier des retombées d’un environnement favorable et propice aux échanges professionnels relationnels, informels ou formels. En retour, et de manière combinée et interactive, ces derniers alimentent et irriguent ces agglomérations de leurs ressources cognitives et créatives. L’économiste Alfred Marshall avait dès 1890 développé dans cet esprit le concept « l’atmosphère industrielle » dans le cadre de la spécialisation intrasectorielle. Plus tard, à partir des années 1960, la géographe Jane Jacobs apportera une contribution complémentaire et approfondie autour des « externalités d’urbanisation » et la diversité intersectorielle. Naturellement, dans la pratique, cette distinction intrasectorielle-intersectorielle n’est pas totalement imperméable et clivée. Ces deux perceptives ne s’excluent pas nécessairement l’une de l’autre. Elles peuvent se combiner et se cumuler au sein d’agglomérations au hasard d’échanges et de contacts.
Sans revenir ici sur les multiples formes de collaborations interorganisationnelles (clusters, districts industriels et plus spécifiquement pour la France, les pôles de compétitivité), on notera toutefois que si le sens commun permet intuitivement d’appréhender ce phénomène « d’économies d’agglomérations », aucune démonstration scientifique n’a pu être réellement établie par les chercheurs. Mais il faut bien convenir que l’exercice de validation de cette hypothèse intuitive demeure relativement délicat et complexe.

Les Liaisons interactive entre ces différents pôles comme dynamique de l’économie du savoir

Ces trois premiers pôles (savoir, TNI et finances) composent en effet un « système » et se nourrissent mutuellement. Le quatrième pôle, lié aux « économies d’agglomérations », constitue en quelque sorte le socle et l’espace à la fois d’attraction et de mobilisation des activités exercées notamment par des professionnels détenant des compétences expertes et/ou du talent et par des organisations intensives en connaissances et/ou créatives, Nous décrirons et analyserons à présent ces différentes interactions triangulaires entre ces trois pôles.

Les interactions entre« savoir » et « TNI. ».
Une double perspective sera évoquée pour rendre compte de cette interaction : le rapprochement progressif entre ces deux pôles et les bénéfices réciproques de cette combinaison.
S’agissant des TNI, on est passé en quelques décennies du « portage des informations » au « partage des connaissances », d’abord au moment de l’apparition au milieu des années 1990, apparaît alors la première génération de Knowledge Management. Un saut technologique et coopératif sera franchi nous l’avons vu durant la décennie 2000, à travers l’arrivée et l’usage des plateformes collaboratives et des réseaux sociaux de type 2.0. Les alliances coopératives entre les acteurs du pôle des T.NI. et ceux du pôle du savoir progressent de manière significative, de sorte que le pouvoir est totalement redistribué entre les informaticiens et les détenteurs de savoir, dont la position est alors singulièrement rehaussée.
Par ailleurs, il convient de souligner les gains respectifs réciproques potentiels associés à cette combinaison, par ailleurs bien connus. Il s’agit d’abord de l’abolition des distances et des coûts tant au niveau de l’accès que de l’échange ou du partage de savoir et, de manière plus générale, de la coopération entre personnes et groupes dispersés au sein d’espaces géographiques et sectoriels éloignés. Par ailleurs et de manière plus globale, ces T.D.I. permettent un accès potentiel en temps réel à une multitude de formes de savoir différentes, constituant ainsi une source d’exploration et d’exploitation quasiment illimitée (sous réserve, dans certain cas, de coûts d’accès).
Si ces interactions entre ces deux pôles et contribuent à favoriser la croissance et la diffusion du savoir et à en générer de nouveaux, elles comportent naturellement souvent une limite inhérente à leur nature : l’absence de présence physique, même si des technologies de type Skype, permettent d’en limiter partiellement les effets.

Les interactions entre « savoirs » et « finances ».
Si ces deux formes d’actifs (actifs financiers et actifs cognitifs) s’autoalimentent de manière patente, c’est toutefois dans le cadre d’une échelle de temps différenciée, source potentielle de tensions.
Ainsi, le pôle des finances constitue un levier susceptible de fournir les capitaux nécessaires et de valoriser le pôle du savoir dans une perspective marchande. En retour, il bénéficie potentiellement des retombées commerciales associées à cette valorisation. Par ailleurs, il importe de souligner que les secteurs bancaires et financiers, et plus particulièrement les banques d’investissement, repose de plus en plus sur l’accumulation de savoirs complexes (exemple : les mathématiques financières) à travers le montage d’ingénieries sophistiquées. Elles bénéficient ainsi de ses effets et contribue à accroître la performance et la rentabilité des institutions financières, mais parfois aussi à leur destruction… En témoignent les effets des externalités négatives des connaissances, « polluées » au service de la spéculation à court terme, déconnectées de l’économie réelle et les pratiques opaques et collusives qui ont générées des « affaires » et des crises tristement célèbres comme Parmalat, Enron, Lehman Brothers, etc., mais aussi la crise des subprimes. On peut considérer que dans une majorité de cas, les investisseurs institutionnels ont la réalité du pouvoir de décider des investissements nouveaux, sur la base de critères purement financiers.
S’agissant des échelles de temps, il va de soi que cette valorisation financière de cet actif cognitif doit être réalisée au plus vite, en particulier face à la contrainte temporelle du time to market intégrant de ce fait nécessairement une part de risque. Cette échelle de temps ainsi raccourcie entre nécessairement en tension avec l’actif cognitif, qui s’inscrit nécessairement dans un cycle de temps plus long. Une illustration typique de cette interaction, fondée sur la prise de risque est notamment constituée par le rôle des sociétés de capital-risque.

Les interactions entre « TDI » et « finances ».
Les T.D.I. permettent, à travers leurs multiples dispositifs (Internet, ordinateurs, logiciels, etc.), combinés avec leur puissance de calcul, de transmettre en temps réel aux différents opérateurs et acteurs financiers planétaires, un nombre quasi infini de données et d’informations financières, générant une quantité considérable d’opérations aux montants de plus en plus élevés. Le cas souvent cité du système de cotation électronique dont s’est équipée la bourse de Paris, remplaçant les cotations traditionnelles « à la criée », en constitue une illustration typique.
En retour, les TDI ont bénéficié des traitements associés à la finance de marché, qui ont contribué à leur développement. Elles apparaissent comme de puissants amplificateurs de ce traitement en termes de quantité et de vitesse et ont pu ainsi concevoir des applications de plus en plus sophistiquées, associées en particulier au développement des marchés financiers. On peut donc considérer qu’elles sont devenues des industries intensives en connaissances (du moins pour certaines activités), illustrant ainsi ces interactions entre ces différents pôles.

Pour ne pas conclure : Un équilibre fragile et risqué (avec un accent sur risqué…).

On peut donc ainsi confirmer que l’économie du savoir, singulièrement dans notre époque contemporaine, repose largement sur une dynamique interactive de trois pôles fréquemment localisés au sein d’économies d’agglomérations. Toutefois, cette dynamique repose souvent sur un fragile équilibre comportant de nombreuses tensions. On retiendra en particulier que les risques et les enjeux sont plus spécifiquement localisés dans trois domaines : le développement d’externalités négatives des connaissances liées à la centration sur les seules opérations à des fins totalement spéculatives à risque, déconnectées de l’économie réelle, la pression sans fin à la course à l’innovation vis-à-vis notamment des chercheurs et des créatifs, et enfin, plus globalement, une tendance à la privation du savoir, assimilable alors à un seul objet de marchandisation. On soulignera enfin que la course à l’innovation « à tout prix », contribue à générer un déplacement de l’exploitation de savoirs au détriment de leur exploration. Rappelons d'ailleurs que cette tendance patente à la privation du savoir d'ailleurs à été développée dans un billet d'humeur antérieur.

(1) Pour ne pas alourdir le texte, les sources ne sont pas citées. Elles sont accessibles notamment dans mes derniers ouvrages, L’entreprise invisible, Dunod, 2007 et L’Economie du savoir, 2012.