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Jean-Pierre Bouchez - L’innovation managériale et le commerce lucratif des idées : pas toujours exempts de rigueur scientifique...

Les mécanismes de l’innovation sont bien connus, et anciens. Rarement isolés, ils résultent à l’essentiel d’une combinaison liée à la rencontre (organisée ou improbable et/ou hasardeuse) d’acteurs porteurs de savoirs et d’expériences différenciées ou complémentaires et d’organisations formelles (Institutions universitaires, entreprises, laboratoires, etc.), ou moins formelles (communautés professionnelles, réseaux professionnels, échanges informels, hasards, etc.), dans un contexte favorable et si possible porteur.

S’agissant plus spécifiquement de l’innovation managériale et des processus de création et de diffusion des modes et modèles, que l’on peut assimiler d’une certaine manière à des macro-innovations de rupture, la logique est similaire dans son principe et sa dynamique. De manière plus précise, on peut considérer que les macro innovations managériales se sont construites, développées et déployées à travers la combinaison, l’enchevêtrement, mais aussi la co-opétition d’au moins six « mondes » d’acteurs référents majeurs, dotés d’un capital d’influence conséquent, que nous allons présenter. Il s’agit, pour l’essentiel de quelques grandes firmes et cabinets de conseil prestigieux, d’une partie du monde académique, des « gourous », experts et autres « penseurs des affaires », ainsi que de la littérature managériale. Ces innovations managériales interviennent logiquement le plus souvent dans un contexte porteur favorable. Nous présenterons successivement ces différents « mondes », pour la clarté de la présentation, tout en sachant que leurs imbrications sont en réalité constantes et permanentes. Illustrons donc ces propos.

1. LE MONDE DES GRANDES ENTREPRISES PRESTIGIEUSES.

Ces grandes organisations phares américaines ont été, soit le terrain d’expérimentation, de réflexions et/ou d’applications fructueuses. Citons ainsi quelques exemples référents.

La Western Electric Compagny, et plus précisément l’atelier Hawthorne revisité…
C’est au sein de cet atelier que fut menée, durant les années 1920, une expérience qui devint quasi mythique autour de « l’effet Hawthorne », qui souligne notamment la relation entre la prise en compte du facteur humain (friendly management) et l’accroissement de la productivité des travailleurs. Conduite par le professeur Elton Mayo, de la Harvard Business School, elle constitua la référence emblématique du vaste mouvement des relations humaines, qui se déploya au sein de nombreux grands groupes français, notamment dans les années 1950 et 1960. Ces applications relevèrent toutefois plus du champ de la formation que du champ du conseil.
Cette expérience fut toutefois largement amendée et revisitée dans sa diffusion… Des chercheurs (notamment Bernard Pierre Lecuyer*), on en effet montré que, contrairement au compte rendu officiel et au discours dominant, ce sont bien les pratiques orthodoxes (encadrement autoritaire et stimulant financier), qui auraient généré l’accroissement de la productivité. Lecuyer peut ainsi écrire, que les versions initiales des faits (qui ont propulsé le mouvement des relations humaines), ont conquis leur crédibilité « parce qu’elles se trouvaient situées dans un réseau d’autorité qui croisaient les établissements Hawthorne, le système Bell, les dirigeants des principales compagnies industrielles et la Harvard Busines School ».

La grande firme DuPont.
C’est à cette firme que l’on doit l’invention et l’élaboration la fameuse structure divisionnelle, organisée autour de ses grands produits (explosifs, colorants, peintures…), en opposition à l’ancienne structure fonctionnelle. Ce type de structure s’est ensuite étendu à d’autres grandes firmes comme General Motors et Standard Oil. Les cabinets de conseil (notamment McKinsey et Booz Allen Hamilton), se sont naturellement intéressés à ce modèle dont le succès devenait grandissant. Aussi, à partir des années 1930 et jusqu’au milieu des années 1960, la très grande partie de leur activité a consisté à le transposer d’entreprises en entreprises… (**).

Texas Instrument, Shell, General Electric, Motorola et quelques autres.
C’est également au sein de ces d’entreprises phares et référentes que se conceptualisèrent, progressivement avec des cabinets prestigieux, les fameuses matrices stratégiques qui apparurent à la fin des années soixante. Elles émergèrent à travers une série de modèles dont l’origine est enchevêtrée entre ces firmes et ces cabinets (McKinsey, A.D. Little, Boston Consulting Group).
Quelques décennies plus tard, dans les années 1990, certains dirigeants charismatiques de ces grandes firmes, à l’image de Jack Welch, dirigeant General Electric, devinrent des avocats et des promoteurs fervents de la méthode du Lean Six Sigma, au milieu des années 1990, destinée à améliorer l’efficacité du processus et la qualité des produits. Cette méthode a été développée au départ par Motorola, qui en fit une marque déposée. De nombreux cabinets ont ensuite largement déployé cette méthodologie…

2. LE MONDE UNIVERSITAIRE ET ACADEMIQUE ET LA COMMUNAUTE SCIENTIFIQUE.

Nous avons vu en effet l’importance du « réseau d’autorité » constitué par les établissements Hawthorne, et la Harvard Busines School, pour « valider » les conclusions du professeur Elton Mayo. Cette institution demeure une référence académique majeure, à la croisée de la pensée et du business. Elle se situe d’ailleurs à Boston, non loin du Boston Consulting Group, dont la tradition en termes d’innovation est bien connue.
Dans un registre un peu différent, mais plus rassurant, il convient d’ailleurs de souligner une forme de proximité fréquente, notamment en Amérique du nord, du monde académique et des pratiques de consulting. De nombreux professeurs de renom, (parmi lesquels, Phil Rozenweig, ancien professeur à la Harvard Business School, et actuellement à l’IMD de Lausanne, Jeffrey Pfeffer ou Robert Sutton, tous deux professeurs de management à l’université de Stanford), exercent simultanément des activités de chercheurs et de consultants qui se nourrissent mutuellement. Nous les avons qualifiés de « consultants académiques », en ce qu’ils se situent quelque part à mi-chemin entre les « gourous consultants » et les « chercheurs purs », et dont la posture peut apparaître prometteuse. Sur ce plan les consultants et chercheurs français, auraient tout intérêt à coopérer plus intelligemment, au delà clivages idéologiques. Des pistes prometteuses apparaissant heureusement, en ce sens, comme nous avons eu l’occasion de l’observer.

3. LE MONDE DES GRANDS CABINETS PRESTIGIEUX, POSITIONNES DANS LE CHAMP DE LA STRATEGIE.

Même si elles furent loin d’être les seules, deux firmes se détachent immédiatement dans cette échelle de prestige : McKinsey & Compagny, et le The Boston Consulting Group .

The Boston Consulting Group.
La figure de Bruce Henderson (1915-1992), en constitue la figure mythique et souvent considéré comme le fondateur de la pensée stratégique. Il fut particulièrement créatif sur le plan des idées et des concepts, en liaison avec d’autres « mondes », notamment celui de grandes entreprises, comme nous l’avons souligné. Les concepts qu’il formalisé furent mobilisés par une majorité de grandes firmes et enseignés dans de nombreuses écoles et d’universités du monde entier.

McKinsey & Compagny.
S’agissant du cabinet McKinsey, c’est aussi une autre figure, Martin Bower (1903-2003), également diplômé de la Harvard Business School, et dirigeant de la firme entre 1950 et 1967, qui a notamment joué un rôle capital dans la construction du modèle managérial référent des cabinets anglo-saxons (système d’association ou partnership, de promotion ou d’éviction up or out). Il développera et institutionnalisera une collaboration avec la Harvard Business School, et ultérieurement avec les meilleurs Business Schools américaines, puis mondiales. Cette collaboration étroite s’accompagna d’investissements savants pour transformer le management en une science à portée universelle. Ce cabinet a notamment joué un rôle considérable dans la diffusion de grands modèles référents : le modèle multidivisionnelle, comme nous l’avons vu, aux Etats-Unis, puis en Europe. Il y eu ensuite, les fameuses matrices stratégiques des années 1960, et le modèle de l’excellence des années 1980. Ce marché de l’excellence fut largement déployé et popularisé par un ouvrage culte écrit par deux consultants de ce cabinet Tom Peters et Bob Waterman, qui devint le best seller managérial, du siècle, sur lequel nous reviendrons dans un instant. Peters devint à cette occasion le prototype des gourous…
Près de deux décennies plus tard, en 2001, le talent devient alors logiquement le sujet en vogue. Trois consultants du cabinet McKinsey, publient donc en 2001 un ouvrage qui deviendra également un best seller, intitule The War for Talent qui s’appuie sur des sondages réalisés auprès de 120 entreprises et 27 études de cas. Les recommandations qu’il préconise, s’avèrent relativement classiques dans l’univers managérial compétitif anglo-saxon (sélectionner les meilleurs en leur accordant un traitement de faveur, et ne pas conserver sur les plus mauvais). Mais, comme le soulignent précisément les « consultants académiques » Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton (***), les études sur lesquelles se fondent les auteurs, comportent quelques failles importantes. Ils en concluent que la plupart de leurs recommandations ne sont pas solidement étayés et sont en contradiction avec des études antérieures…

4. LES « GOUROUS », LES « PENSEURS DES AFFAIRES », ET AUTRES EXPERTS.

Ils constituent également un monde qui participe avec les autres à la création, la diffusion et à la commercialisation des idées managériales. Il existe d’ailleurs un classement, sorte de palmarès mondial des « 50 meilleurs penseurs des affaires » (www.thinkers50.com) publié tous les deux ans depuis 2001. Le dernier classement remonte à 2009.
L’élite de ces « penseurs des affaires », dont Tom Peters constitue toujours l’une des figures prototype, apparaissent à certains égard comme des stars et des showmen internationaux, qui « tournent » dans le circuit international des conférences. Leur revenu peut s’élever à plusieurs millions de dollars par an… On distingue toutefois, en pratique des « gourous académiques » (comme par exemple Gary Hamel où Michael Porter), des « gourous consultants » (Peters naturellement, mais aussi des auteurs comme Michael Hammer, où même Peter Drucker, récemment décédé). Leur reconnaissance est naturellement liée aux chiffres de vente de leurs best-sellers, l’importance des entreprises qu’ils conseillent, le tarif et le nombre de leurs interventions.

5. LA « LITTERATURE MANAGERIALE ».

Ce quatrième « monde » recoupe naturellement en partie les précédents. Nous en soulignons ici, les aspects les plus saillants.

Un puissant vecteur d’émergence et de diffusion des idées des modes et modèles managériaux.
Cette « littérature » comme on a coutume de l’appeler, regroupe des best sellers (médiatiques, mais aussi parfois critiques) et des publications dans des revues de prestige (en particulier la Harvard Business Review). Bénéficiant dans grand retentissement notamment, dans le monde des affaires, ils contribuent à susciter, et à propager des modes et pratiques managériales, considérés comme innovants. Cela s’explique, en particuliers, parce qu’ils arrivent sur le marché « au bon moment », dans le cadre d’un contexte socio-économique en mouvance, au sein duquel des dirigeants et des consultants sont à la recherche d’idées nouvelles (ou de simples « solutions »). Ces publications tendent ainsi à aller à la rencontre d’une demande potentielle, générant une réceptivité réelle, au moins d’une partie du monde des affaires, en leur proposant de nouvelles perspectives stratégiques et opérationnelles.
Ils le plus souvent écrits, comme on l’a vu, par des « gourous » ou des « penseurs des affaires », qui peuvent être des professeurs d’écoles prestigieuses, des consultants issus de cabinets des dirigeants d’entreprises racontant leur vie (c’est notamment le cas de Jack Welch), ou des journalistes « en vue ».

Des premiers best-sellers dans la première moitié du XXème siècle….
Ce type d’ouvrages, comme nous allons l’illustrer, est relativement récent et remonte véritablement à une trentaine d’années. Toutefois certains ouvrages antérieurs, tel celui de Frédéric Taylor, Principles of Scientific Management, publié en 1911 aux Etats-Unis, développant et vulgarisant son message sur la rationalisation du travail, a dû générer un fort tirage. En France, dans ce registre, il faut citer l’ouvrage du syndicaliste français Hyacinthe Dubreuil, qui est alors l'un des plus ardents militants du « rêve américain ». Il se rend aux Etats-Unis entre janvier 1927 et juin 1928 (grâce à l’entremise d’Albert Thomas et de ses réseaux), et travaille notamment aux seins des établissements Ford à Detroit. A son retour, il publie en 1930 chez Grasset, ce qui devint probablement le premier best seller international dans le domaine du management (terme encore inusité en France), traduit en sept langues et connaissant quarante cinq éditions ! Standards, Le travail américain vu par un ouvrier français. Il y défend avec ardeur la nécessité d'appliquer les méthodes de rationalisation américaines et les relations industrielles, étant ainsi convaincu de la compatibilité entre progrès technique et démocratie industrielle.

« L’excellence » au regard de la critique.
On rappellera ici pour mémoire, la publication du prototype du « livre culte » en matière de vulgarisation de cette littérature managériale demeure à coup sur celui co-écrit par Tom Peters et Waterman, issus nous l’avons indiqué, du cabinet McKinsey, intitulé Le Prix de l’excellence paru aux Etats-Unis en 1982 Nous ne reviendrons pas ici, sur les multiples critiques bien connues dont il fut l’objet (difficultés ultérieures de la majorité des entreprises performantes de l’échantillon du livre, aspect incantatoire, apologique et quasi universalistes de leur recommandations, etc). Les recettes de la réussite étaient au rendez-vous : publication au « bon moment », (notamment parce que le monde du business américain s’inquiétait fortement de la montée en puissance des entreprises japonaises), combinée avec une série de recommandations simples et flairant le bon sens…

Les publications au sein de revues référentes.
Enfin pour être complet sur la présentation de la littérature managériale, il faut y inclure également les publications référentes au sein de revues prestigieuses comme Harvard Business Review, California Management Review ou Stategy et business Ces publications participent à la promotion des idées en « vogue » et se prolongent souvent par la publication d’un ouvrage, qui devient lui-même un best seller...

POUR NE PAS CONCLURE : DEFENSE ET ILLUSTRATION DE L’INNOVATION ORDINAIRE….
Il est assurément déconseillé, en particulier pour les consultants professionnels, de se tenir à l’écart de ces concept et idées lucratives et souvent attractives. Il est fortement recommandé d’en connaître leur construction, leurs multiples imbrications, leur intérêt mais aussi… leur limite.
Mais, l’essentiel pour ces consultants est sans doute ailleurs : il résulte par exemple de pratiques innovantes ordinaires qui sont assurément prometteuses et probantes. Les exemples foisonnent : lectures sélectives (un peu savantes, mais mobilisables), usage intelligent d’Internet, permettant un bricolage intellectuel approfondi, échanges combinatoires avec des académiques et des experts de champs très diversifiés, multiplication des réseautages formels et informels, etc. Les macro-innovations structurantes générant des modes et modèles, sont fort utiles. Elles ont contribué largement à alimenter le commerce des idées et les consultants n’ont pas à s’en plaindre ! Les micro-innovations ordinaires, dont le consultant s’approprie nécessairement et qu’il sait faire partager à son client, notamment par voie de co-apprentissage et de co-production, sont souvent les plus prometteuses et les plus satisfaisantes, quand elles sont naturellement réussies et partagées.


Notes

*Dans une contribution intitulée « Deux relectures des expériences Hawthorne », parue dans L’invention de la gestion, L’Harmattan, 1994.
** McKenna C., Conseil en management et idéologie : la diffusion de la corporate strategy dans le monde entre 1950 et 2000, Ecole de Paris, séance du 27 juin 2011.
*** Pfeffer J. et Sutton J., Faits et foutaises dans le management (traduction française), Vuibert, 2007.