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Jean-Pierre Bouchez - Penser l’organisation en sa forme hybride

Nous avions décrit dans un précédent billet, daté du 30 janvier 2013, le concept « monde de grandeur » appliqué aux organisations à travers, pour mémoire, trois formes otganisationnelles typiques : grandeur homogène, grandeur hétérogène et grandeur hybride.

Nous voudrions dans ce billet nous pencher plus précisément sur la forme organisationnelle hybride, qui nous parait à bien des égards, prometteuse, notamment au sein des firmes de taille importante, dans le contexte hyperconcurrentiel des affaires.

Cette forme d’organisation hybride se décline à travers deux postures. La première est orientée vers le champ de l’innovation, à travers la mise en œuvre de dynamiques entrepreneuriales et intrapreneuriales, insérées au sein de grandes firmes. La seconde forme se focalisera sur le champ de l'optimisation et de la personnalisation de masse, qui peut également comporter une part d’innovation.

1. LA FORME ET LES DYNAMIQUES INTRAPRENEURIALES ET ENTREPRENEURIALES.

Cette première posture sera présentée, puis décrite et illustrée en s’appuyant sur une revue typologique s’appuyant sur une série de travaux de recherche.

Une forme récente.
L’émergence des premières entités dédiées à ce que l’on dénomme alors le Corporate Venturing se constituent dans les firmes américaines à la fin des années 1960. Durant les années 1980, ce concept se structure progressivement en Suède avec le Foresight Group qui a appliqué le mécanisme intrapreneur au sein de sept entreprises différentes avant de concevoir et mettre en place une école pour intrapreneur. Plus généralement, le concept repose comme l’indique un chercheur , sur la nécessité pour les dirigeants d’apprendre à gérer des « comportements stratégiques autonomes », afin de favoriser l’innovation technologique en encourageant les initiatives des intrapreneurs. Il sera largement popularisé par le fameux « Groupe PC » d’IBM qui popularisera ce concept. Rappelons que la firme d’Armonk l’a créé en 1981 et « délocalisé » en Floride à Boca Raton, en le séparant du reste de la firme pour concevoir, réaliser et lancer un personnel computer en vue d'apporter une réponse à la concurrence symbolisée par Apple. Il rapportait directement au président de l’époque, Frank Cary, qui le financera et le protégera, Ce fut une réussite technique et le succès commercial fut immédiat.
On peut donc considérer que ce dispositif hybride vise, en marge ou à la lisière des structures traditionnelles, à créer une nouvelle dynamique d’action susceptible de générer de nouvelles idées, activités et projets et donc de nouveaux revenus en stimulant l’innovation.

Une représentation à travers trois « modèles-types », autour de deux axes structurants.
Une consultation de la littérature à dominante académique, publiée sur cette question, nous conduit à proposer une synthèse typologique articulée autour de deux axes structurants. Un premier axe est caractérisé par l’étendue plus ou moins large, au sein de la firme, des dispositifs mobilisé. Un second axe concerne la profondeur et l’intensité de ces dispositifs. Trois « modèles-types » peuvent se dégager. Nous les présenterons successivement.

Modèle-type 1 : étendue large et profondeur réelle des dispositifs.
Il est caractérisé par une dimension culturelle très marquée et très intégrée au sein de l’ensemble du corps social en encourageant et valorisant fortement l’initiative, la prise de risque et la responsabilité. Mais cette pratique s’exerce, en contrepartie toutefois d’un encadrement et d’une « surveillance » qui s’expriment à travers des dispositifs de reporting et d’évaluation rigoureux. Ce modèle se réfère d’une certaine manière à un « style de vie », mais la pression demeure en effet permanente et l’obligation de résultats doit être au rendez-vous. Par ailleurs, il importe de souligner dans ce « modèle-type » l’importance des conditions environnementales de travail, pour favoriser et stimuler à la fois l’innovation et la prise de risque. On peut ainsi y insérer également des industries créatives, voire certaines firmes de conseils prestigieuses.

Modèle-type 2 : étendue large, mais profondeur variable des dispositifs.
Il recouvre plusieurs dispositifs, qui relèvent chacun à leur manière, à faire émerger par des salariés, des idées innovantes et pertinentes pour l’entreprise. Ils se formalisent le plus souvent par la mise en place d’une équipe dédiée pour susciter et diffuser cet esprit entrepreneurial. La formation et l’information en constituent les supports de diffusion typiques. Ils peuvent déboucher sur de l’accompagnement des porteurs de projets. Mais c’est bien l’intensité et la réalité de la mobilisation qui constituent une variable clé du succès de cette dynamique. Si elle n’est pas au rendez-vous, on en restera à de simples discours ou déclarations d’intentions peu suivis d’effets concrets.

Modèle-type 3 : étendue faible et profondeur réelle des dispositifs.
Il se réfère en effet à la création d’un espace dédié, localisé soit à l’intérieur, soit à l’extérieur d’une grande organisation, mais en quelque sorte détaché et soustrait de celle-ci. Il est donc celui qui s’assimile le mieux à la forme adhocratique, inséré au sein d’une bureaucratie établie, pour reprendre les concepts de Mintzberg. Les objectifs peuvent être variables et combinés : piloter un projet-phare stratégique (comme la conception du célèbre personal computer par IBM, déjà évoqué), devenir un « accélérateur d’idées », acquérir via un fonds de capital-risque interne, de start-up innovantes, susceptibles de permettre l’identification de technologies d’avenir qu’une bureaucratie professionnelle ne saurait pas forcément faire émerger, etc. Dans le cas de ce "modèle type", on peut légitimement considérer que le terme d’intrapreneuriat, plus impliquant en termes de prise de risque, convient mieux que celui d’entrepreneuriat, alors mieux adapté aux deux « modèles types » précédents.

2. L’« ECONOMIE DE LA MODULARITE ».

Cette seconde posture référente au monde hybride, est donc orientée vers le champ de l’optimisation, mais n’exclut pas l’innovation. Elle se présente sous une forme souvent qualifiée d’économie de la modularité ou de personnalisation de masse. Elle apparaît comme une alternative supplémentaire à l’impérieuse nécessité de se développer dans un univers concurrentiel exacerbé. Nous décrirons ses fondements en s’appuyant sur des cas illustratifs.

Description et enjeux.
De manière à saisir et à caractériser ce modèle modulaire, nous présenterons successivement la fameuse parabole de Simon, puis nous décrirons les principaux enjeux associés à cette posture organisationnelle.

La parabole de Simon.
Cette parabole de Simon , prix Nobel d’économie en 1978, illustre en effet parfaitement l’intérêt de la conception modulaire des produits. Citons là in extenso :
« Il était une fois deux fabricants de montre, nommés Hora et Tempus, qui fabriquaient des montres de très grande qualité. Tous deux étaient très estimés et les téléphones de leurs ateliers sonnaient fréquemment – de nouveaux clients les appelaient constamment. Toutefois, Hora prospéra tandis que Tempus devint toujours plus pauvre et perdit finalement son atelier. Pour quelle raison ?
Les montres que ces hommes fabriquaient étaient constituées d’environ 1000 pièces. Tempus avait conçu la sienne de telle sorte que quand elle était partiellement assemblée et qu’il devait la laisser de coté – par exemple pour répondre au téléphone – elle tombait immédiatement en morceaux et il fallait reprendre l’assemblage de chacun des éléments. Les montres que fabriquait Hora n’étaient pas moins complexes que celle de Tempus. Mais il les avait conçues de telle sorte qu’il pouvait réaliser des sous-ensembles d’environ 10 éléments chacun. 10 de ces éléments pouvaient être assemblés dans un sous-ensemble plus large ; et un système de 10 de ces sous-ensembles constituait la montre. Ainsi, Hora pouvait laisser de côté une montre assemblée partiellement pour répondre au téléphone. Il ne perdait qu’une partie de son travail et il ne mettait qu’une fraction du temps nécessaire à Tempus pour assembler les montres. »
À la lecture de cette parabole, on saisit bien les caractéristiques de l’ingénierie modulaire d’un produit (mais aussi conséquemment d’un service). Elle permet de combiner variété et standardisation, tant au niveau de la conception d’une offre que de la réponse à une demande spécifique. En d’autres termes, l’économie de la modularité repose sur l’ingénierie de l’assemblage de composants, sous-systèmes ou modules standardisés, prêts à l’usage (préfabriqués), permettant de répondre à une demande ou à une commande plus spécifique d’un client. De manière inverse, le fait de disposer de modules ou de briques « sur étagère » permet de proposer, de faire évoluer voire de concevoir une gamme de produits et de services de manière à proposer une offre renouvelée. Dans les deux cas, le niveau de complexité du produit ou du service peut être variable.

Les enjeux associés à l’économie de la modularité.
Deux enjeux-clés sont associés à cette forme : une variable temps et souvent une variable reliée à l’innovation.
La variable temps concerne principalement la réponse à une demande et se traduit dans les faits sous la forme d’un raccourcissement de son délai dans la conception de l’offre déclenchée au moment de la commande et dans son adaptation. On se positionne en effet à la combinaison de la production industrielle de masse et de la production unitaire personnalisée. D’où l’usage de l’expression de personnalisation de masse pour décrire cette posture hybride. La variable reliée à l’innovation souligne que complémentairement, ce dispositif peut favoriser l’émergence d’innovations, d’où l’usage du terme d'« innovation modulaire », proposé par Pascal Corbel . Ce dernier fait ainsi référence à une innovation qui ne touche que l’un des sous-systèmes en question.

Illustrations.
Deux illustrations seront présentées, issues du secteur industriel, et du secteur des services intellectuels.
Le secteur industriel.
Le secteur automobile constitue une illustration typique de cette forme modulaire. Ainsi, dans la phase de développement de nouveaux modèles, on prend souvent comme donnée de départ la gamme de moteurs disponibles « sur étagère ». La concrétisation d’un nouveau véhicule automobile se réalise alors le plus souvent en prenant comme donnée l'éventail de moteurs disponibles. En conséquence, on retrouve les mêmes moteurs utilisés d’un véhicule à l’autre de la gamme. Cela permet de réaliser à la fois des économies d’échelle sur la fabrication des véhicules et d’en amortir les coûts de conception par l’écoulement d’un grand nombre d’exemplaires. On se situe ici dans le cadre d’une innovation modulaire au sens de Corbel4 . D’autres illustrations dans d’autres secteurs sont également citées5 par Morand et Monceau. Par exemple, Laguiole permet ainsi de choisir le manche et la taille de son couteau. Nike propose sur son site Internet de choisir la couleur de ses chaussures de sport et d’y apporter une inscription rédigée par le client, puis les fait produire à l’unité. La marque identifie les combinaisons les plus porteuses et les fabrique en masse pour des éditions limitées. Lego, pour sa part, a fondé une communauté de clients au sein de laquelle chacun peut définir ses modèles. Diesel parfums permet à ses clients de choisir parmi plus de 150 000 combinaisons possibles de fragrances, flacons et bouchons pour un surcoût de 30%.

Le secteur des services intellectuels.
Ces mêmes principes d’économie de modularité, nous l’avons souligné, se déploient également dans le secteur des services, comme par exemple dans le champ du conseil en management. On utilise alors parfois les termes de « personnalisation de masse » ou simplement d'« offre modulaire ». Cela peut correspondre en pratique à deux situations : faire évoluer ou concevoir une offre spécifique.
Renouveler, faire évoluer une offre générale sur des bases existantes : Cette démarche consiste à contribuer au renouvellement d’une offre de service en faisant évoluer, par exemple, une méthodologie relativement standardisée ou éprouvée, pour tenir compte de nouveaux besoins de clients.
Concevoir une offre modulaire spécifique pour un client déterminé. Pour cela, les consultants sont amenés à puiser dans des « briques » méthodologiques déjà utilisées et à les recombiner en concevant sur cette base de nouveaux assemblages, qui débouchent sur de nouveaux « développements » pour satisfaire cette demande. L’offre finale sera alors le résultat d’une combinaison comportant souvent une part d’innovation dans l’articulation et l’évolution de composants élémentaires.

 

Ainsi, en se focalisant sur ce monde de grandeur hybride, principalement présenté du côté des organisations, nous avons ainsi dressé le portrait et les caractéristiques d’un modèle d’affaires qui combine et articule deux formes d’hybridation de nature différente, mais pas forcément exclusives l’une de l’autre. Il est clair que dans le contexte hyper compétitif, ces postures hybrides deviennent à bien des égards incontournables pour les grandes bureaucraties établies. Naturellement, la prise en compte des variables environnementales, culturelles, technolo-giques et managériales notamment, ainsi que l’ampleur de la volonté des dirigeants de peser sur ces remodelages organisationnels, seront déterminantes.


Notes.

(1)Anderson D., (1986), « Une démarche pour revitaliser les grandes entreprises », Revue française de gestion, n° 56-57, mars-mai.
(2) Simon H. A. (2003), “The Architecture of Complexity” in Garud R., Kumaraswamy A. et Langlois R. N., Managing in the Modular Age, Backwell, Publishing, Oxford.
(3) Corbel P. (2009), Technologie, Innovation, Stratégie, Gualino, lextensoéditions.
(4) Ibid.
(5) Morand M et Monceau, P. (2009), Pour une nouvelle vision de l’innovation, La documentation Française.