Warning: Undefined array key "HTTP_ACCEPT_LANGUAGE" in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4

Warning: Undefined array key "HTTP_ACCEPT_LANGUAGE" in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4

Deprecated: explode(): Passing null to parameter #2 ($string) of type string is deprecated in /home/clients/026451c381c03bf67416fa2b9f4da715/sites/jeanpierrebouchez.com/index.php on line 4
Jean-Pierre Bouchez - Refonder le management

Le management, même si ce terme relève d’un usage hexagonal récent (l’Académie Française l’adoptera en 1973), se pratique, au moins intuitivement et empiriquement depuis l’apparition des premiers humains… On rappellera pour mémoire, sous forme de survol, l’organisation managériale complexe de l’érection des pyramides, plusieurs millénaires avant J.-C. ; le célèbre Traité de Sun Tzu consacré à l’art de la guerre (400 av. J.-C.), qui développe des principes stratégiques et méthodologiques toujours transposables – au moins pour partie – à la vie des affaires.

Beaucoup plus tard, on sait que le travail à la chaine était déjà pratiqué à l’Arsenal de Venise plusieurs siècles avant la « découverte » de la chaîne déployée par Henry Ford, au début du XX° siècle, etc…
Pour s’en tenir cependant à l’époque récente, on observera, de manière ramassée que deux cycles managériaux sont successivement apparus, et qu’un troisième, en voie d’émergence, semble rabattre fortement les cartes…

Un premier cycle managérial…

Le premier trouve son origine dans la « révolution managériale » apparue dans les années 1930. Aux Etats-Unis, après la grande crise, où le pouvoir de la bourse avait été largement délégitimé, les « dirigeants » et les « managers » avaient progressivement récupéré la direction effective de grandes entreprises souvent dévolues antérieurement aux « propriétaires ». Cette nouvelle configuration sera théorisée par plusieurs auteurs, notamment Berle et Means (Berle G. et Means C., Modern Corporation and Private Property, Harcourt, 1932), qui soulignent, à l’exemple d’ATT, que la constitution de grandes firmes exige une concentration de capitaux générant mécaniquement une dispersion des actionnariats et partant, de l’impossibilité pour un individu seul de détenir une part substantielle du capital. Les dirigeants s’émancipent ainsi du contrôle de leurs actionnaires dans le pilotage des grandes firmes. La complexification des taches de direction favorisant aussi, depuis les années 1920, l’autonomisation de cette fonction (Burnham, 1942 J., Managerial Revolution, Indiana University Press, 1942). Galbraith (The New Industrial State, Princeton University Press., 1967), mobilise le terme « technostructure », en référence au groupe de gestionnaires et de managers professionnels qui s’impose par ses connaissances technologiques et organisationnelles. Cette forme de capitalisme managérial trouvera en quelques sortes son apogée durant la période de croissance vertueuse des « trente glorieuses », forme de consécration de la société salariale, fordiste, industrielle et verticale.

…suivi d’une nouvelle « grande transformation »….

Le second cycle qui trouve son fondement dans une nouvelle « grande transformation » du capitalisme, en référence symbolique au titre de l’ouvrage majeur de Karl Polanyi, (Beacon Press, 1944), se déploie progressivement à partir du milieu des années 1970, à travers le retour de la « main invisible » de nouveaux propriétaires (en majorité des investisseurs institutionnels). La base doctrinale, et idéologique de cette métamorphose néo libérale, sur fond de concurrence mondiale exacerbée, repose sur des travaux d’économistes comme Jensen et Meckling qui vont formuler, dès le début de ce cycle la « théorie de l’agence », qui selon laquelle, de manière très raccourcie, a pour effet de considérer les managers comme les agents des seuls actionnaires. Mais leur mise en œuvre se déploiera dans le cadre de la « révolution conservatrice » anglo-saxonne durant la décennie 1980 impulsée par le Président Regan et le Premier Ministre Thatcher. De nouvelles règles de gouvernance s’imposent et se traduisent par un contrôle potentiellement accru des dirigeants. De manière conséquente l’organisation et le management des grandes firmes se remodèlent dans le cadre de cette nouvelle doxa : recentrage stratégique sur les compétences clés, polarisation amont et aval du process des activités immatérielles créatrices de valeur, etc. De manière logique, il est puissamment encadré par des dispositifs néo tayloriens, imposés pour la plupart de l’extérieur, par des experts.

…puis de signes prometteurs d’une nouvelle gouvernance plus communautaire.

Or, singulièrement depuis ces dernières années, ce cycle s’essouffle. Il génère souvent des effets pervers bien connus, aux couts sociaux élevés, comme le dépassement du seuil d’exigence des contributions et implications demandées. Par ailleurs l’instrumentation d’une gouvernance par les process, et plus généralement cette prolifération des outils de contrôle s’apparente à une forme de prothèse invisible inductrice de méfiance. Mais la mobilisation de ces dispositifs conduit une partie de nos managers à se muter en gestionnaire abstraits contribuant, bien souvent involontairement, à affaiblir la réflexion et l’analyse intellectuelle, ce qui constitue un véritable paradoxe au moment où le savoir est au cœur de notre économie post-industrielle…. En d’autres termes, le « travail réel » se traduit alors par une représentation instrumentée et exclusivement chiffrée et abstraite, générant souvent une inexorable distanciation avec le « terrain ». Ces dispositifs risquent ainsi de devenir plutôt un problème qu’une solution….

Pourtant, nos observations attentives récentes en tant que chercheur et consultant au sein de grandes firmes, montrent que les lignes bougent singulièrement. Pour le dire rapidement, le « travail réel » resurgit en quelques sortes, au sein de nouveaux espaces collaboratifs et délibératifs plus ou moins informels. Ce retour sur le réel, sur la base d’une logique communautaire (à travers des partages de pratiques et de la création de nouveaux savoirs des et plus transverses et réticulaires (via des échanges sociaux, sous formes par exemple de « belles histoires » professionnelles). Cet appel d’air salvateur est rendu notamment possible par l’usage intelligent de ces espaces et plateforme collaboratives qui irriguent et pollinisent de nombreuses grandes firmes. L’intelligence collective distribuée à travers la stimulation des capacités réflexives, se déploie et irrigue ainsi bien des organisations que nous avons pu récemment observer.

Refonder le management, c’est desserrer les filets de contraintes, apprendre à lâcher prise, et instiller des espaces de confiance et d’autonomie. De manière plus concrète, c’est réintroduire la grandeur et la visibilité du « travail réel », seul créateur de valeur, qui s’exprime notamment au sein de communauté de pratiques professionnelles. Une forme de tolérance d’un désordre intelligent au service de la performance bien pensée de l’entreprise serait en voie d’émergence. On peut ainsi penser, dans une perspective optimiste et prometteuse, que ce cheminement vers un nouveau cycle managérial, entrouvre une fenêtre vers un nouveau « monde en partage », basé sur la confiance et la solidarité. En faisant toutefois le pari que cette gouvernance prometteuse fondée sur « l’esprit communautaire » saura s’imposer aux excès du gouvernement par les process.