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Jean-Pierre Bouchez - Savoir expert et savoir profane, où l’expertise en question…

Une enquête Ipsos pour Le Monde et La Recherche publiée en juin 2011, intitulée « Les Français et la Science », souligne que si les français ont globalement confiance en la Science, ils expriment cependant beaucoup de méfiance vis-à-vis des scientifiques, dans des domaines sensibles, comme le nucléaire, les nanotechnologies et les OGM. Plus largement, les Français estiment dans une très large majorité (80 %) être insuffisamment informés sur les débats et enjeux de la recherche. Ces deux tendances ne sont à vrai dire guère surprenantes, en particulier si l’on se réfère aux travaux de… chercheurs français associés à cette question.

La « démocratie dialogiste » et la coopération entre le monde de la recherche « confinée » et le monde de la recherche « de plein air ».

Il y a en effet déjà 10 ans que dans un essai remarqué (*), Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe soulignaient que le développement des sciences et des techniques n’apportent pas dans la connaissance plus de certitudes. Cela est particulièrement significatif dans le champ de la santé et de l’environnement où l’avenir reste « opaque et menaçant », générant ainsi de multiples controverses publiques, telle la prise de conscience des risques liés à l’effet de serre, aux OGM ou aux déchets nucléaires. Ils prônent le recours à la démocratie technique, c'est-à-dire le passage de la démocratie représentative classique à ce qu’ils qualifient de « démocratie dialogiste ». Cette approche repose sur une analyse critique de l’expertise savante, souvent assimilée à un discours d’autorité ne répondant pas véritablement aux questionnements, aux craintes, voir aux angoisses des citoyens. En effet, selon eux, les citoyens profanes ont un rôle essentiel à jouer dans le champ de ces controverses et incertitudes. Ils se prononcent ainsi pour l’expertise pluraliste, permettant à des profanes de participer à une réelle confrontation des points de vue, obligeant ainsi les experts scientifiques à sortir de leurs laboratoires.

Des procédures et règles du jeu dialogistes (transparence, équité dans l’expression des points de vue, etc), sont proposées pour permettent d’organiser et d’approfondir cette coopération entre le monde de la recherche « confinée » et le monde de la recherche « de plein air », entre savoirs savants et experts et savoirs profanes. Les « forums hybrides » constituent pour ces chercheurs une bonne illustration de cette coopération et de cette complémentarité. Espaces d’échanges, de débats et de controverses portant sur de thèmes diversifiés, comme les déchets nucléaires, le sida, ou les myopathies, ces forums ont permis alors contribué à inventer le principe de précaution, considéré comme « démarche active et ouverte, contingente et révisable, reposant sur l’approfondissement de la reconnaissance scientifique et sur l’acceptabilité sociale et le cout économique ».

La « démocratisation des compétences » et le « sacre des amateurs ».

Très récemment, un autre chercheur sociologie, Patrice Flichy, dans un ouvrage stimulant (**), poursuit et prolonge cette analyse, en soulignant « que nous entrons dans une nouvelle ère de démocratisation, celle des compétences » à travers « la montée en puissance des amateurs ». Combinés souvent avec l’usage des instruments fournis par l’informatique et par l’Internet, ils contribuent à l’émergence du pro-am (pour « professionnel amateur »). Cette activité, le plus souvent non marchande, se déploie au sein de trois domaines : les arts, la chose publique et la connaissance, le plus souvent dans le cadre de collectifs, permettant de recueillir des avis, conseils et expertises, de confronter des jugements et de débattre. Dans ce dernier champ de la connaissnace, Flichy apporte des illustrations très convaincantes.

Ainsi, s’agissant de la thématique de la « contre expertise scientifique », il rappelle le violent conflit éditorial qui a éclaté au sein de l’Encyclopédie Wikipedia (qui n’a pas pour objectif de produire de la science, l’encyclopédie refusant les débats inédits), s’agissant de l’article francophone consacré aux nanotechnologies, générant l’apparition d’un nouvel article intitulé « Débat sur les nanotechnologies ». Wikipedia n’est plus, dans ce cas, un site d’écriture collective, mais un espace ouvert au débat public mais s’inscrit ici dans un mouvement de contestation des experts-spécialistes par les amateurs.

Une seconde illustration concerne la prise en charge sa santé à travers une construction participative de connaissances médicales. Ainsi s’agissant de la maladie de Parkinson, un logiciel basé sur liste de discussion sur la maladie, à pu être conçu en collaboration avec un ingénieur malade et un médecin, permettant d’adapter le dosage de la dopamine (principale substance administrée aux malades). Médecins et patients ont en effet intensément coopéré : ces derniers ne prétendent pas pour autant se substituer aux médecins : ils reconnaissent leur expertise-expérience et souhaitent y associer la leur.

Le mouvement des logiciels libres, développée au cours des années 1980, (dont le plus connus est le système d’exploitation Linux), constitue naturellement une autre illustration pertinente. Flichy rappelle que ses développeurs sont des très majoritairement des amateurs bénévoles (auxquels s’ajoutent informaticiens professionnels provenant de l’université ou d’entreprise). Ils participent, de façon volontaire, à une recherche collective de type scientifico-technique en effectuant des taches diversifiées selon leur compétences, leur permettant d’obtenir des programmes de qualité bien supérieure à ceux des logiciels dits « propriétaires », développés par des éditeurs comme Microsoft.

Enfin, et cela nous confirme les travaux de l’essai décrit précédemment, Flichy aborde la question de la démocratie scientifique et technique. Des amateurs sont amenés à participer participent à des controverses relatives aux effets que les sciences et les techniques peuvent avoir sur l’environnement ou la santé, qui ne peuvent être uniquement traité par des experts, car ceux-ci n’ont pas suffisamment d’informations pour élaborer des prévisions. Il importe de trouver d’autres solutions pour organiser le débat public, au-delà du seul Parlement et du gouvernement. De ce point de vue, la conférence dite « de consensus » constitue une réelle opportunité. Sur la base d’une méthodologie originale, associant des universitaires et des citoyens volontaires et représentatifs, assurant une diversité de points de vue, elle conduit les citoyens amateurs à débattent longuement entre eux (éventuellement via internet) et rédiger une série de (propositions) ou de recommandations rendues publiques, destinées au pouvoir politique. Ces forums ont été en particuliers utilisés à propos de la question des OGM où des déchets nucléaires.

Les limites de l’exercice.

Des critiques adressées au premier ouvrage (*), faisaient état d’un bipolarisme simplificateur et réducteur entre un monde coupé en deux (experts versus profanes), ainsi qu’un risque d’acculturation des profanes aux démarches scientifiques des experts. Ils soulignaient également, les limites d’une participation à la seule délibération, mais non à la décision, réservée aux autorités politiques. Il n’en demeure pas moins que la démarche demeure innovante et prometteuse.
Dans le second ouvrage (**), Flichy pose lui-même les bornes de l’exercice, anticipant en quelque sorte les critiques potentielles, en soulignant que « la science « de plein air » n’est pas près de remplacer la « science en laboratoire ». Ainsi, s’agissant de Wikipedia, l’amateur se contente de vulgariser des savoirs qu’il n’a pas élaborés. Dans le champ de la santé et de ses sites d’échanges, les malades veulent mieux collaborer avec les médecins et non s’y substituer. Dans les conférences de consensus, l’avis de l’amateur est éclairé par celui des experts.
Il n’en reste pas moins que tout laisse à penser que le Web participatif contribue à cette « révolution silencieuse » qui réhabilite d’une certaine manière les nombreux profanes et amateurs impliqués face à l’élitisme des « sachants » en ouvrant des perspectives de plus en plus prometteuses à cette hybridation des pro-am, les premiers n’ayant plus seul le monopole de la légitimité. Les Français le ressentent probablement confusément à travers le sondage évoque au début de ce billet.

Une version courte de ce billet à été publiée dans lemonde.fr daté du 28 juillet 2011.


Notes

(*) Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Le Seuil, 2001.
(**) Le sacre de l’amateur, Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, La République des idées, Seuil, 2010.