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Jean-Pierre Bouchez - Une courte histoire contemporaine du développement du télétravail

Nous présenterons successivement les précurseurs contemporains du concept dans les années1970, puis sa croissance dans les décennies suivantes. Nous clôturerons cet encadré par la situation hexagonale et son basculement dans cette dernière période.

Les précurseurs du concept

Il y a plus de soixante-dix ans, le célèbre mathématicien, cybernéticien et linguiste Norbert Wiener (1950) imaginait le cas d’un architecte installé en Europe, pilotant la construction d’un immeuble aux États-Unis grâce à l’usage de moyens de transmission des données… Puis, deux décennies plus tard, le futurologue Alvin Toffler (1970) prédit dans les grands changements à venir une migration importante du bureau vers le domicile. En 1971, la firme AT&T faisait l’hypothèse que les salariés américains seraient télétravailleurs en 1990 (Huws, 1984), ce qui ne sera pas vérifié. Peu après, quatre chercheurs de l’université de Californie du Sud (Nilles et al., 1976) conclurent dans leur étude que les technologies existantes et à court terme fournissaient une base économique appropriée pour permettre aux organisations de se décentraliser en utilisant le télétravail.
Les Français Alain Minc et Simon Nora (1978) rédigèrent quelque temps plus tard un rapport destiné au président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, en mobilisant le terme de « télématique » associant l’informatique et les télécommunications en référence au concept de travail à distance. Un peu plus tard, Jack Nilles (1982), l’un des quatre chercheurs précités de l’université de Californie du Sud, mobilisa le terme de « teleworking » pour caractériser le fait d’utiliser l’électronique pour travailler depuis chez soi pour son entreprise. Il soulignait déjà les enjeux associés à cette pratique, tant pour l’employeur que pour les employés (réduction du temps de transport, question du contrôle, solitude de l’employé, etc.). C’est d’ailleurs, selon Daniel Ollivier (2017), à la fin des années 1980 que l’on observa le véritable décollage du télétravail avec Internet rendu accessible au plus grand nombre combiné avec la création du premier micro-ordinateur portable (11 kg !) qui fut conçu par les fondateurs d’Apple, Steve Wozniak et Steve Jobs.
Dans cette recension, pour rester en France, il faut également citer au début des années 1990 le rapport de Thierry Breton (1994) remis au Premier ministre Édouard Balladur. Il y précisait notamment que le télétravail « serait une modalité d’organisation ou d’exécution du travail exercé par une personne physique, dans les conditions suivantes : d’une part, ce travail s’effectue à distance, hors des abords immédiats de l’endroit où les résultats de ce travail est attendu ; en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur ; d’autre part, ce travail s’effectue au moyen d’outils informatiques et/ou de communication ».
En Europe, après les États-Unis, selon Olivier (2017), il faudra attendre le début du nouveau millénaire pour voir reconnu ce mode d’organisation au Royaume-Uni et dans les pays nordiques. À la date de la publication de sa contribution, ce même chercheur révèle que les États-Unis et les pays anglo-saxons affichent des taux supérieurs dans la population active, atteignant 30 % de télétravailleurs, avec une progression constante et régulière ces dernières années.

Mondialisation et numérisation

Parallèlement et de manière combinée, les crises pétrolières des années 1970 et le basculement vers un capitalisme de type majoritairement actionnarial, sur fond de mondialisation, de concurrence exacerbée et de numérisation dans les pays développés, ont contribué à l’émergence du télétravail et du travail à distance.
Ce dernier, notamment, s’est déployé ensuite dans le cadre d’équipes de grands groupes (R&D, développeurs, etc.), dispersées dans d’autres continents. Puis à partir des années 2000, comme évoqué dans le chapitre 3, les pratiques de New Ways of Working combinées avec la sophistication des nouveaux outils numériques ont renforcé et popularisé le modèle de l’entreprise flexible et agile, contribuant à accroître son usage. Celui-ci étant singulièrement adapté pour les professions intellectuelles et/ou à forte autonomie (Tremblay, 2001 ; Schampheleire et Martinez, 2006), le secteur des technologies de l’information et de la communication (Tremblay, 2001), ainsi que les professions créatives tels les graphistes, designers, chercheurs, etc. (Taskin et Bridoux, 2010).

En France : De la méfiance au basculement

En suivant toujours Ollivier (2017), en France, le développement du télétravail a connu un parcours « plus sinueux et controversé », comparativement avec la situation des pays anglo-saxons. Ainsi, jusqu’à la fin du siècle dernier, les différents acteurs en avaient plutôt une mauvaise image. Les dirigeants craignaient notamment une baisse de productivité et de l’engagement du sentiment d’appartenance à l’entreprise. Les managers appréhendaient une moindre reconnaissance de leur autorité, l’affaiblissement de leur statut et de leur légitimité, ainsi qu’une incapacité à suivre l’état réel de la production et à contrôler la qualité du travail. Les salariés y percevaient la perte du lien social avec leurs collègues, la crainte de voir le temps professionnel prendre le pas sur le temps personnel et de voir s’éloigner les opportunités professionnelles. Enfin, les organisations syndicales et les partenaires sociaux étaient sensibles au regard des impacts néfastes sur l’emploi et le climat social. Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’est apparue une autre vision du télétravail à travers le déploiement d’expériences concluantes, singulièrement pour les grands groupes exposés à la concurrence mondiale (mais de manière moindre pour les PME).
Il n’en reste pas moins vrai qu’avant le choc de la pandémie, le télétravail était une pratique encore peu répandue en France (Barthélémy et Cette, 2021). Ainsi, selon Hallépée et Mouroux (2019), en 2017, seuls 3 % des salariés le pratiquaient au moins un jour par semaine. Il explosera littéralement durant la pandémie, pour atteindre 25,4 % au cours du mois de décembre 2020, de manière équivalente à celle observée au printemps 2020 (Dares, 2021). Un taux qui reste cependant inférieur à la moyenne de l’ensemble de l’Union européenne où, selon l’enquête réalisée par Eurofound (2020), 35 % des salariés auraient commencé à télétravailler lors le premier confinement du printemps 2020, rejoignant ceux qui pratiquaient déjà ce mode de travail. Cette proportion varie singulièrement d’un pays à l’autre, notamment entre le nord et le sud de l’Europe, comme cela a été évoqué dans ce chapitre.
On soulignera enfin que, selon la deuxième édition du baromètre Wimi-Ipsos (2021) réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 500 salariés de la fonction publique et 500 salariés du secteur privé, le télétravail se déploie chez les fonctionnaires. Il voit d’ailleurs son intensité s’accroître avec 42 % d’agents déclarant travailler occasionnellement à distance, soit un quasi doublement par rapport à l’année précédente. Si cette progression est notable, le télétravail reste cependant toujours moins pratiqué que dans le secteur privé où, selon ce même sondage, ils sont 58 % à télétravailler occasionnellement. Selon les agents publics sondés, cette différence tient au fait d’une préparation insuffisante et plus généralement au poids de la culture du présentéisme (pointée à 68 %).

 

Notes

Baromètre Wimi-Ipsos du travail ouvert (2021), décembre.
Barthélémy, J. et Cette, G. (2021), Travail et changements technologiques, Odile Jacob, Paris.

Breton, T. (1993), Le Télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, La Documentation française, Paris

Dares (2021), Activité et condition d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19, juillet.
Eurofound (2020), Living, working and COVID-19, COVID-19 series, Publications Office of the European Union, Luxembourg.

Hallépée, S. et Mouroux, A. (2019), « Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? », Dares Analyses, novembre, no 051
Huws, U. (1984), The new homeworkers: new technology et the changing location of white collar work, Low Pay Unit, London.

Minc, A. et Nora, S. (1978), L’Informatisation de la société, Seuil, Paris.

Nilles, J. (1982), « Teleworking: working closer to home », Technology Review, avril, pp. 56-62.

Nilles, J.-M., Carlson, F. R., Gray, P. et Hanneman, G. J. (1976), The communication Transportation Tradeoff, John Willey, New York.

Ollivier, D. (2017), « Le succès du télétravail : Les effets de la nouvelle loi Travail », Études, 12 (décembre), pp. 33-46

Schampheleire, J. D. et Martinez, E. (2006), « Régulation du télétravail et dialogue social. Le cas de la Belgique », Revue Interventions économiques. Papers in Political Economy (34).

Toffler, A. (1970), Future Shock, Random House, New York.

Tremblay, D.-G. (2001), « Le télétravail : son impact sur l’organisation du travail des femmes et l’articulation emploi-famille », Recherches féministes, vol. 14, no 2, pp. 53-82.

Wiener, N. (1950), The Human Use of Human Beings, Houghton Mifflin, Boston.